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Préclinique Recherche exploratoire

Robots au laboratoire : les chercheurs de demain seront-ils également roboticiens ?

Il y a bien souvent dans un laboratoire des tâches très répétitives et laborieuses qui pourraient être automatisées. Que ce soit compiler des données sur un tableur ou préparer un gel pour une électrophorèse, le ratio valeur générée / temps utilisé n’est pas souvent élevé. Derek Lowe, chimiste et auteur du blog Into The Pipeline (1), se remémore avec humour une époque où une simple purification par chromatographie prenait énormément de temps à réaliser (époque aujourd’hui quasiment révolue), et note avec justesse que le but de l’automatisation n’est pas d’expulser le chercheur de sa paillasse, mais bien de réduire toutes ces tâches laborieuses et de pousser l’apport intellectuel du scientifique au maximum.

En Chimie ou en Biologie, de nombreux groupes essaient d’imaginer le laboratoire du futur, celui qui pourrait de bout en bout exécuter la synthèse puis le test d’une molécule. Cependant, d’un point de vue technique, la palette des actions nécessaires pour reproduire le travail du chercheur par un robot est beaucoup trop large pour être efficace à ce jour, mais les différents projets présentés ci-dessous sont prometteurs pour la suite.

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Dans le domaine du diagnostic, il devient de plus en plus vital d’automatiser les tests afin de répondre à la demande des patients et des cliniciens. Afin de vous donner un ordre d’idée, c’est par exemple au Royaume-Uni près d’un million de tests PCR qui sont effectués par jour, rien que pour le diagnostic de la covid-19 (2).

En microbiologie clinique, l’utilisation des automates est particulièrement intéressante, là où les protocoles demandent beaucoup de temps et d’attention de la part des microbiologistes. Le robot WASP, conçu par Copan (3), combine robotique et logiciel et est capable d’effectuer des opérations de mise en culture, d’isolement bactérien, et de surveiller si la pousse se fait correctement grâce à une petite caméra installée dans l’automate. Il existe également l’automate de Roche (4), Cobas, capable de réaliser différents tests de biologie moléculaire comme la qPCR. La versatilité de ces robots leur permet d’être facilement adaptés à d’autres fins diagnostiques.

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Dans un cadre plus chimique, un groupe liverpuldien dirigé par le Pr. Andrew Cooper (5) a conçu un robot capable de se déplacer physiquement dans le laboratoire afin d’optimiser la production d’hydrogène par photocatalyse. L’avantage de cet automate est qu’il est de taille humaine et qu’il peut opérer et se mouvoir librement dans n’importe quelle pièce. Même s’il a fallu un peu de temps pour mettre en place un tel système, il est estimé que l’automate a été 1000 fois plus rapide que si les travaux étaient effectués manuellement. Pour les curieux, la vidéo du robot est disponible ci-dessous :

L’Intelligence artificielle implémentée dans la plupart des robots fonctionne par itérations : les résultats de chaque expérience sont évalués par l’algorithme et lui permettent de concevoir l’expérience suivante.

Figure 1 : La combinaison d’Intelligence Artificielle et robotique permet de créer un circuit itératif, où chaque cycle analyse les résultats du précédent, et adapte les paramètres afin d’optimiser le processus défini par le chercheur.

Dans le domaine de la chimie des matériaux, Alán Aspuru-Guzik et al.(6) ont développé une plateforme automatisée et autonome, capable de travailler avec un grand nombre de paramètres, afin de découvrir de nouveaux matériaux utiles aux panneaux solaires ou aux consommables électroniques. En Chimie Organique cette fois, Coley et al. (7) ont utilisé l’AI et la robotique afin de concevoir des petites molécules par chimie en flux. Il suffit au chimiste d’indiquer la molécule qu’il souhaite obtenir, et l’AI va réaliser sa propre voie de retro synthèse et essayer de synthétiser le composé. De cette façon, leur automate a pu synthétiser 15 petites molécules thérapeutiques, allant de l’aspirine à la warfarine.

On peut noter d’autres initiatives, notamment de la part des Big Pharma comme celle d’AstraZeneca et son iLab (8), qui a pour but d’automatiser la découverte de molécules thérapeutiques via un circuit itératif de Design, Make, Test, Analyse. En Chimie Médicinale, les méthodes de Chimie combinatoire permettent d’explorer très rapidement l’espace chimique d’une cible, grâce à des réactions maîtrisées et optimisées. Ces projets sont témoins de l’avancée de la Recherche vers des systèmes de synthèse totalement autonomes.

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Il est probablement juste de noter que certains chercheurs sont frileux à l’idée d’utiliser les robots, et se sentent parfois menacés d’être remplacés par une machine. Moi-même, en tant qu’apprenti chimiste et en explorant le sujet, je me suis dit à plusieurs reprises “Hé, mais ce robot pourrait travailler à ma place !”. Je me souviens des semaines que j’ai pu passer à essayer d’optimiser une réaction, testant différents catalyseurs à la chaîne, un travail qu’un automate (ou un singe !) aurait pu faire à ma place beaucoup plus rapidement et certainement plus efficacement. La robotique a ce potentiel énorme d’amélioration de la productivité des chercheurs, et de réduction des tâches pénibles qui requièrent finalement peu, voire aucune réflexions intellectuelles.

Il existe également des outils qui aident le chercheur à développer des plans de recherche afin d’optimiser un processus X ou Y de la façon la plus efficace possible. Par exemple, l’outil EDA développé par le NC3Rs (9) est utile pour les projets de recherche in vivo, où on essaie d’obtenir des données statistiquement puissantes tout en réduisant le nombre d’animaux utilisés. D’autres outils ont également pu être conçus grâce à des modèles Bayensien ou de Montecarlo Research Tree (10), et permettent de concevoir des plans d’expériences optimaux. Dans la même ligne d’idées, Aldeghi et al. ont développé Golem (11), un outil open-source disponible sur GitHub (12).

Les technologies du cloud (i.e. l’accès à un service via internet) sont également très prometteuses pour le laboratoire du futur. Elles permettront aux chercheurs d’effectuer leur recherche entièrement depuis chez eux, grâce à “quelques” lignes de code. Des projets comme celui de Strateos ont initié cette pratique et permettent déjà aux chercheurs de programmer des expériences de Chimie, de Biochimie et de Biologie depuis chez eux. Lorsque le protocole est défini, le chercheur n’a plus qu’à lancer l’expérience depuis son ordinateur et le robot localisé à des milliers de kilomètres effectuera l’opération pour lui. Dans quelques années, et si le service se démocratise dans la communauté scientifique, tout le monde pourra facilement y avoir accès.

Figure 2 : Principe du Cloub Lab. 1) Le chercheur envoie son protocole de recherche à l’automate, situé à l’autre bout du monde. 2) L’automate réalise l’expérience conçue par le chercheur et 3) et lui renvoie les résultats dès que l’expérience est terminée.

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Entre progrès et doutes, il n’est sans doute qu’une question de temps avant que la communauté scientifique adopte une mentalité différente. Il fut un temps où les standards téléphoniques étaient entièrement gérés par des personnes, jusqu’au jour où tout a été remplacé par des automates. Ce court documentaire de David Hoffman a cristallisé cette transition et la réaction des utilisateurs lorsqu’ils entendent une voix robotisée pour la toute première fois. Même si quelques-uns d’entre eux étaient réticents au départ, l’implémentation de la reconnaissance vocale a permis de rendre le service beaucoup plus efficient et moins coûteux pour les consommateurs. Est-ce que demain les chercheurs ne seront pas tous un peu roboticiens ?


Bibliographie

  1. Lab! Of! The! Future! | In the Pipeline [Internet]. 2021 [cited 2021 Jun 9]. Available from: //blogs-sciencemag-org.ressources-electroniques.univ-lille.fr/pipeline/archives/2021/03/31/lab-of-the-future
  2. Testing in the UK | Coronavirus in the UK [Internet]. [cited 2021 Jun 13]. Available from: https://coronavirus.data.gov.uk/details/testing
  3. Copan WASP DT: Walk-Away Specimen Processor [Internet]. [cited 2021 Jun 9]. Available from: https://www.beckmancoulter.com/products/microbiology/copan-wasp-dt-walk-away-specimen-processor
  4. Automation in Molecular Diagnostic Testing [Internet]. Diagnostics. [cited 2021 Jun 13]. Available from: https://diagnostics.roche.com/global/en/article-listing/automation-in-molecular-diagnostic-testing.html
  5. Burger B, Maffettone PM, Gusev VV, Aitchison CM, Bai Y, Wang X, et al. A mobile robotic chemist. Nature. 2020 Jul;583(7815):237–41.
  6. MacLeod BP, Parlane FGL, Morrissey TD, Häse F, Roch LM, Dettelbach KE, et al. Self-driving laboratory for accelerated discovery of thin-film materials. Sci Adv. 2020 May 1;6(20):eaaz8867.
  7. Coley CW, Thomas DA, Lummiss JAM, Jaworski JN, Breen CP, Schultz V, et al. A robotic platform for flow synthesis of organic compounds informed by AI planning. Science [Internet]. 2019 Aug 9 [cited 2021 Jun 3];365(6453). Available from: http://science.sciencemag.org/content/365/6453/eaax1566
  8. The AstraZeneca iLab [Internet]. [cited 2021 Jun 27]. Available from: https://www.astrazeneca.com/r-d/our-technologies/ilab.html
  9. du Sert NP, Bamsey I, Bate ST, Berdoy M, Clark RA, Cuthill IC, et al. The Experimental Design Assistant. Nat Methods. 2017 Nov;14(11):1024–5.
  10. Dieb TM, Tsuda K. Machine Learning-Based Experimental Design in Materials Science. In: Tanaka I, editor. Nanoinformatics [Internet]. Singapore: Springer; 2018 [cited 2021 Jun 6]. p. 65–74. Available from: https://doi.org/10.1007/978-981-10-7617-6_4
  11. Aldeghi M, Häse F, Hickman RJ, Tamblyn I, Aspuru-Guzik A. Golem: An algorithm for robust experiment and process optimization. ArXiv210303716 Phys [Internet]. 2021 Mar 5 [cited 2021 Jun 9]; Available from: http://arxiv.org/abs/2103.03716
  12. aspuru-guzik-group/golem [Internet]. Aspuru-Guzik group repo; 2021 [cited 2021 Jun 9]. Available from: https://github.com/aspuru-guzik-group/golem

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Organ-On-Chip : vers des essais miniaturisés ?

Avant de tester une nouvelle molécule chez l’Homme, il est nécessaire d’effectuer des prédictions toxicologiques et pharmacocinétiques sur différents modèles précliniques. Les chercheurs essaient de reconstituer au mieux ce qu’il se passerait sur un tissu ou un organe spécifique. Parmi les techniques les plus utilisées, nous pouvons citer les cultures cellulaires
qui, même si efficaces, peinent à simuler pleinement la dynamique d’un organe ou d’une pathologie. Ou encore les modèles animaux in vivo, qui sont souvent plus pertinents, mais qui ne sont pas adaptés à une génération de données à haut débit. D’abord éthiquement, les modèles doivent être sacrifiés et ce qui est observé chez l’Animal ne l’est pas toujours chez l’Humain. Parmi les composés qui échouent en clinique, il est estimé que 60% des causes sont liées à un manque d’efficacité chez l’Humain, et 30% à une toxicité non prévue (1) . Indéniablement, de nouveaux modèles biologiques sont nécessaires.

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Paradoxalement, les chimiothèques sont de plus en plus grosses mais le nombre de médicaments sortant s’étiole. La communauté scientifique doit alors repenser ses modèles en permanence afin de générer une information plus fiable et à plus haute intensité. C’est à partir de cette problématique que la genèse des Organs-On-Chips (OOC) commence. C’est en 1995 que Michael L. Schuler fut le premiers à proposer un prototype de culture cellulaire analogue, connectant plusieurs compartiments de cellules différentes (2) . C’est quand ces compartiments seront connectés par des microcanaux que le terme “organ-on-a-chip” apparaitra.

Les OOC sont des appareils aussi gros qu’une clé USB. Cela est possible grâce à la technologie des microcanaux qui exploite des volumes de l’ordre du nanolitre, et au deçà.
Les OOC ont trois particularités qui leur permettent de mieux modéliser un tissu ou un organe :

  1. Le contrôle de la répartition tridimensionnelle des cellules
  2. L’intégration de différentes populations cellulaires
  3. Et la possibilité de générer et contrôler des forces biomécaniques.

Cela permet de retranscrire des conditions physiologiques beaucoup plus fidèlement, comparées à une culture cellulaire statique en deux dimensions, sur surface plate. Il n’existe pas un design unique d’OOC, mais l’exemple le plus simple à visualiser est peut-être celui du poumon qui mime l’interface air-alvéole. (voir Figure 1).

Figure 1 : Illustration d’un OOC mimant l’interface air-poumon. Une membrane semi-perméable sépare l’environnement extérieur des cellules pulmonaires. La chambre à vide va quant à elle, mimer le diaphragme.

À ce jour, différents OOC ont été conçus, allant du foie au modèle de bronchopneumopathie chronique obstructive. Riahi et al. ont par exemple développé un OOC hépatique, capable d’évaluer la toxicité chronique d’une molécule en quantifiant l’évolution de certains biomarqueurs (3) . Comparé aux cultures 2D, l’OOC est viable beaucoup plus longtemps et génère des données qui n’auraient pu être observées qu’in vivo. Un autre modèle intéressant a été développé par Zhang et al. et se concentre cette fois sur le cœur et ses cardiomyocytes (4) . En intégrant des électrodes sur la puce, les chercheurs ont pu évaluer la contractilité des cellules, et évaluer l’efficacité et la cardiotoxicité de certains médicaments.
Si l’adoption de la technologie est réussie, les OOC seront dans un premier temps utilisés comme compléments aux tests cellulaires et aux modèles animaux, puis les remplaceront peut-être totalement.

Encore plus impressionnant, la versatilité du concept permettra d’évaluer la réponse de nos propres cellules à un traitement spécifique. En implémentant par exemple un extrait de tumeur d’un patient, il sera possible d’observer et d’optimiser la réponse thérapeutique à une molécule X, et de retranscrire ces observations en clinique (5) . C’est un premier pas des OOC vers la médecine personnalisée.

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À termes, les différents modèles d’OOC pourront être combinés afin de regrouper plusieurs organes et simuler un organisme entier. Cette dernière idée, aussi appelée “body-on-a-chip”, est extrêmement puissante et pourrait capturer à la fois l’effet d’un médicament et sa toxicité associée sur les différents organes. Certains modèles, comme celui de Skardal et al. ont permis d’étudier la migration de cellules tumorales d’un OOC de colon, jusqu’à un OOC de foie (6) . Les chercheurs Edington et al. ont eux pu connecter jusqu’à 10 OOC différents, capturant une partie des fonctions physiologiques du foie, des poumons, des intestins, de l’endomètre, du cerveau, du cœur, du pancréas, des reins, de la peau et des muscles squelettiques. Le système étant fonctionnel durant quatre semaines (7) . Même si de tels systèmes ne sont pas encore optimaux, leur exploration permettra dans le futur de générer des données beaucoup plus pertinentes et beaucoup plus rapidement, afin de booster les projets de Drug Discovery.


Pour aller plus loin :

Human Organs-on-Chips

D’excellentes reviews sur le sujet sont disponibles:

  • Low, L.A., Mummery, C., Berridge, B.R. et al. Organs-on-chips: into the next decade. Nat Rev Drug Discov 20, 345–361 (2021). https://doi-org/10.1038/s41573-020-0079-3
  • Wu, Q. et al. Organ-on-a-chip: recent breakthroughs and future prospects. BioMedical Engineering OnLine 19, 9 (2020). https://doi.org/10.1186/s12938-020-0752-0
  • Sung, J. H. et al. Recent advances in body-on-a-chip systems. Anal Chem 91, 330–351 (2019). https://doi.org/10.1021/acs.analchem.8b05293

Bibliographie

  1. Waring, M. J. et al. An analysis of the attrition of drug candidates from four major pharmaceutical companies. Nat. Rev. Drug Discov. 14, 475–486 (2015).
  2. Sweeney, L. M., Shuler, M. L., Babish, J. G. & Ghanem, A. A cell culture analogue of rodent physiology: Application to naphthalene toxicology. Toxicol. In Vitro 9, 307–316 (1995).
  3. Riahi, R. et al. Automated microfluidic platform of bead-based electrochemical immunosensor integrated with bioreactor for continual monitoring of cell secreted biomarkers. Sci. Rep. 6, 24598 (2016).
  4. Zhang, X., Wang, T., Wang, P. & Hu, N. High-Throughput Assessment of Drug Cardiac Safety Using a High-Speed Impedance Detection Technology-Based Heart-on-a-Chip. Micromachines 7, 122 (2016).
  5. Shirure, V. S. et al. Tumor-on-a-chip platform to investigate progression and drug sensitivity in cell lines and patient-derived organoids. Lab. Chip 18, 3687–3702 (2018).
  6. Skardal, A., Devarasetty, M., Forsythe, S., Atala, A. & Soker, S. A Reductionist Metastasis-on-a-Chip Platform for In Vitro Tumor Progression Modeling and Drug Screening. Biotechnol. Bioeng. 113, 2020–2032 (2016).
  7. Edington, C. D. et al. Interconnected Microphysiological Systems for Quantitative Biology and Pharmacology Studies. Sci. Rep. 8, 4530 (2018).

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