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Organ-On-Chip : vers des essais miniaturisés ?

Avant de tester une nouvelle molécule chez l’Homme, il est nécessaire d’effectuer des prédictions toxicologiques et pharmacocinétiques sur différents modèles précliniques. Les chercheurs essaient de reconstituer au mieux ce qu’il se passerait sur un tissu ou un organe spécifique. Parmi les techniques les plus utilisées, nous pouvons citer les cultures cellulaires
qui, même si efficaces, peinent à simuler pleinement la dynamique d’un organe ou d’une pathologie. Ou encore les modèles animaux in vivo, qui sont souvent plus pertinents, mais qui ne sont pas adaptés à une génération de données à haut débit. D’abord éthiquement, les modèles doivent être sacrifiés et ce qui est observé chez l’Animal ne l’est pas toujours chez l’Humain. Parmi les composés qui échouent en clinique, il est estimé que 60% des causes sont liées à un manque d’efficacité chez l’Humain, et 30% à une toxicité non prévue (1) . Indéniablement, de nouveaux modèles biologiques sont nécessaires.

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Paradoxalement, les chimiothèques sont de plus en plus grosses mais le nombre de médicaments sortant s’étiole. La communauté scientifique doit alors repenser ses modèles en permanence afin de générer une information plus fiable et à plus haute intensité. C’est à partir de cette problématique que la genèse des Organs-On-Chips (OOC) commence. C’est en 1995 que Michael L. Schuler fut le premiers à proposer un prototype de culture cellulaire analogue, connectant plusieurs compartiments de cellules différentes (2) . C’est quand ces compartiments seront connectés par des microcanaux que le terme “organ-on-a-chip” apparaitra.

Les OOC sont des appareils aussi gros qu’une clé USB. Cela est possible grâce à la technologie des microcanaux qui exploite des volumes de l’ordre du nanolitre, et au deçà.
Les OOC ont trois particularités qui leur permettent de mieux modéliser un tissu ou un organe :

  1. Le contrôle de la répartition tridimensionnelle des cellules
  2. L’intégration de différentes populations cellulaires
  3. Et la possibilité de générer et contrôler des forces biomécaniques.

Cela permet de retranscrire des conditions physiologiques beaucoup plus fidèlement, comparées à une culture cellulaire statique en deux dimensions, sur surface plate. Il n’existe pas un design unique d’OOC, mais l’exemple le plus simple à visualiser est peut-être celui du poumon qui mime l’interface air-alvéole. (voir Figure 1).

Figure 1 : Illustration d’un OOC mimant l’interface air-poumon. Une membrane semi-perméable sépare l’environnement extérieur des cellules pulmonaires. La chambre à vide va quant à elle, mimer le diaphragme.

À ce jour, différents OOC ont été conçus, allant du foie au modèle de bronchopneumopathie chronique obstructive. Riahi et al. ont par exemple développé un OOC hépatique, capable d’évaluer la toxicité chronique d’une molécule en quantifiant l’évolution de certains biomarqueurs (3) . Comparé aux cultures 2D, l’OOC est viable beaucoup plus longtemps et génère des données qui n’auraient pu être observées qu’in vivo. Un autre modèle intéressant a été développé par Zhang et al. et se concentre cette fois sur le cœur et ses cardiomyocytes (4) . En intégrant des électrodes sur la puce, les chercheurs ont pu évaluer la contractilité des cellules, et évaluer l’efficacité et la cardiotoxicité de certains médicaments.
Si l’adoption de la technologie est réussie, les OOC seront dans un premier temps utilisés comme compléments aux tests cellulaires et aux modèles animaux, puis les remplaceront peut-être totalement.

Encore plus impressionnant, la versatilité du concept permettra d’évaluer la réponse de nos propres cellules à un traitement spécifique. En implémentant par exemple un extrait de tumeur d’un patient, il sera possible d’observer et d’optimiser la réponse thérapeutique à une molécule X, et de retranscrire ces observations en clinique (5) . C’est un premier pas des OOC vers la médecine personnalisée.

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À termes, les différents modèles d’OOC pourront être combinés afin de regrouper plusieurs organes et simuler un organisme entier. Cette dernière idée, aussi appelée “body-on-a-chip”, est extrêmement puissante et pourrait capturer à la fois l’effet d’un médicament et sa toxicité associée sur les différents organes. Certains modèles, comme celui de Skardal et al. ont permis d’étudier la migration de cellules tumorales d’un OOC de colon, jusqu’à un OOC de foie (6) . Les chercheurs Edington et al. ont eux pu connecter jusqu’à 10 OOC différents, capturant une partie des fonctions physiologiques du foie, des poumons, des intestins, de l’endomètre, du cerveau, du cœur, du pancréas, des reins, de la peau et des muscles squelettiques. Le système étant fonctionnel durant quatre semaines (7) . Même si de tels systèmes ne sont pas encore optimaux, leur exploration permettra dans le futur de générer des données beaucoup plus pertinentes et beaucoup plus rapidement, afin de booster les projets de Drug Discovery.


Pour aller plus loin :

Human Organs-on-Chips

D’excellentes reviews sur le sujet sont disponibles:

  • Low, L.A., Mummery, C., Berridge, B.R. et al. Organs-on-chips: into the next decade. Nat Rev Drug Discov 20, 345–361 (2021). https://doi-org/10.1038/s41573-020-0079-3
  • Wu, Q. et al. Organ-on-a-chip: recent breakthroughs and future prospects. BioMedical Engineering OnLine 19, 9 (2020). https://doi.org/10.1186/s12938-020-0752-0
  • Sung, J. H. et al. Recent advances in body-on-a-chip systems. Anal Chem 91, 330–351 (2019). https://doi.org/10.1021/acs.analchem.8b05293

Bibliographie

  1. Waring, M. J. et al. An analysis of the attrition of drug candidates from four major pharmaceutical companies. Nat. Rev. Drug Discov. 14, 475–486 (2015).
  2. Sweeney, L. M., Shuler, M. L., Babish, J. G. & Ghanem, A. A cell culture analogue of rodent physiology: Application to naphthalene toxicology. Toxicol. In Vitro 9, 307–316 (1995).
  3. Riahi, R. et al. Automated microfluidic platform of bead-based electrochemical immunosensor integrated with bioreactor for continual monitoring of cell secreted biomarkers. Sci. Rep. 6, 24598 (2016).
  4. Zhang, X., Wang, T., Wang, P. & Hu, N. High-Throughput Assessment of Drug Cardiac Safety Using a High-Speed Impedance Detection Technology-Based Heart-on-a-Chip. Micromachines 7, 122 (2016).
  5. Shirure, V. S. et al. Tumor-on-a-chip platform to investigate progression and drug sensitivity in cell lines and patient-derived organoids. Lab. Chip 18, 3687–3702 (2018).
  6. Skardal, A., Devarasetty, M., Forsythe, S., Atala, A. & Soker, S. A Reductionist Metastasis-on-a-Chip Platform for In Vitro Tumor Progression Modeling and Drug Screening. Biotechnol. Bioeng. 113, 2020–2032 (2016).
  7. Edington, C. D. et al. Interconnected Microphysiological Systems for Quantitative Biology and Pharmacology Studies. Sci. Rep. 8, 4530 (2018).

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Par Quentin Vicentini

Quentin est diplômé de la faculté de Pharmacie de Lille. Après diverses expériences en Chimie Médicinale, il a poursuivi son parcours hors de l’hexagone et est parti s’installer à Oxford en 2019. Son intérêt pour l’innovation l’a poussé à apprendre davantage sur l’utilisation du Machine Learning en Drug Discovery. Aujourd’hui, Quentin se spécialise dans la chimie des oligonucléotides, aussi bien en utilisation thérapeutique que diagnostique.
Passionné par l’innovation en santé et l’entrepreneuriat, Alexandre est actuellement impliqué dans deux biotechs early-stage dans le domaine des maladies neurodégénératives.