Les oligonucléotides, ces petites molécules d’ADN ou d’ARN, sont aujourd’hui des outils incontournables dans les projets de Biologie Moléculaire, mais également en thérapeutique et en diagnostic. En 2021, c’est une dizaine de thérapies antisens qui sont autorisées sur le marché, et plus encore qui sont en cours d’investigation clinique.
La récente crise sanitaire de la Covid-19 a également mis en avant les tests PCR qui utilisent des petites séquences d’une vingtaine de nucléotides afin d’amplifier et de détecter du matériel génétique. Le succès des oligos est tel que, depuis que leur synthèse a été automatisée, leur part de marché n’a cessé de croître. Il est estimé qu’elles atteindront les 14 milliards de dollars en 2026.
Les oligonucléotides ont l’élégance de leur simplicité. C’est dans les années 50 que Watson et Crick ont pu décrire la double hélice qui constitue notre code génétique, et la façon dont les bases Adénine/Thymine et Cytosine/Guanine s’apparient. Par cette propriété, les thérapies antisense peuvent virtuellement cibler la totalité de notre génome, et en réguler son expression. Ce sont des maladies difficiles à traiter comme le Spinal Dystrophy Disoder ou encore la maladie de Duchennes qui bénéficient aujourd’hui d’une prise en charge thérapeutique (1).
Cet article n’a pas pour but de reformuler l’histoire des oligonucléotides utilisés par les cliniciens (de nombreuses reviews sont déjà disponibles dans littérature (2), (3), (4)), mais de proposer un rapide coup d’œil sur de ce qui a été développé dans ce domaine, grâce au Machine Learning.
Nous espérons que l’article inspirera certains chercheurs, et que d’autres pourrons y trouver de nouvelles idées de recherche et d’exploration. À une époque où l’Intelligence Artificielle a atteint une certaine maturité, il est particulièrement intéressant de l’exploiter à son maximum et de rationaliser au mieux toutes les prises de décision dans les projets de R&D.
Cette liste est non exhaustive, et, si vous avez une un projet ou article à nous faire part, contactez nous à hello@resolving-pharma.com. Nous serons ravis d’en discuter et de l’inclure dans cet article.
L’utilisation du Deep Learning pour le design d’amorces de PCR
La crise sanitaire de la Covid-19 en a été le témoin, diagnostiquer la population est primordial dans le contrôle d’une pandémie. Grâce à deux amorces d’une vingtaine de nucléotides, une séquence spécifique peut-être amplifiée et détecter, même à très faible niveau (la technique de PCR est techniquement capable de détecter jusqu’à 3 copies d’une séquence d’intérêt (5))
Un groupe de l’université d’Utrecht, aux Pays-Bas, (6) a développé un RNC (pour Réseau de Neurones Convolutifs, un type de réseau neuronal particulièrement efficace dans la reconnaissance d’images) capable de révéler des zones d’exclusivité sur un génome, permettant de développer des amorces ultra-spécifiques à la cible d’intérêt. Dans leur cas, ils ont analysé plus de 500 génomes de virus de la famille des Coronavirus afin d’entrainer l’algorithme à différencier les génomes entre eux. Les séquences de primers obtenues par le modèle ont démontré une efficacité similaire aux séquences utilisées en pratique. Cet outil pourrait être utilisé afin de développer des outils de diagnostic PCR avec une plus grande efficacité et une plus grande rapidité.
Prédire le pouvoir de pénétration d’un oligonucléotide
Il existe de nombreux peptides qui améliorent la pénétration des oligonucléotides au sein des cellules. Ces peptides sont appelés CPP pour Cell Penetrating Peptides, des petites séquences de moins de 30 acides aminés. Grâce à un arbre de décision aléatoire, une équipe du MIT (7) a pu prédire l’activité des CPP pour des oligonucléotides modifiés par morpholino phosphorodiamidates (MO). Même si l’utilisation de ce modèle est limitée (il existe énormément de modifications chimiques à ce jour et les MO n’en couvrent qu’une petite partie) il reste néanmoins possible de développer ce concept à de plus larges familles chimiques. Le modèle a ainsi pu prédire expérimentalement qu’un CPP allait améliorer par trois la pénétration d’un oligonucléotide au sein des cellules.
Optimiser les oligonucléotides thérapeutiques
Même si les oligonucléotides sont connus pour être faiblement immunogènes (8), ils n’échappent pas à la toxicité associée à toutes thérapies. “Tout est poison, rien n’est poison : c’est la dose qui fait le poison.” – Paracelse
La toxicité est un élément clé dans le futur du développement d’un médicament. Un groupe danois (9) a développé un modèle de prédiction capable d’estimer l’hépatotoxicité qu’aurait une séquence de nucléotides sur des modèles murins. Encore une fois, ici ce sont « seulement » des oligonucléotides non-modifiés et d’autres modifiés par des LNA (pour Locked Nucleic Acid, une modification chimique qui stabilise l’hybridation de l’oligonucléotide thérapeutique à sa cible) qui ont été analysés. Il serait intéressant d’augmenter l’espace chimique étudié et ainsi étendre les possibilités de l’algorithme. Toutefois c’est ce type de modèle qui permet, à terme, de réduire l’attrition du développement de nouveaux médicaments. Dans une autre optique (10), un modèle d’optimisation de la structure des LNA a été développé dans l’utilisation des oligonucléotides en tant que gapmers. Les gapmers sont des séquences d’oligonucléotides hybrides qui possèdent deux extrémités modifiées chimiquement, résistantes aux enzymes de dégradation, et une partie centrale non modifiée, elle, susceptible d’être dégradée une fois hybridée à sa cible. C’est cette « coupure » finale qui va générer l’effet thérapeutique désiré. Grâce à leur modèle, les chercheurs ont pu prédire le design de gapmer qui possède le meilleur profil pharmacologique.
Accélérer la découverte de nouveaux aptamères
Aussi surnommés “chemical antibodies” les aptamères sont des séquences d’ADN ou d’ARN capables de reconnaître et de se lier à une cible particulière, avec autant d’affinité qu’un anticorps monoclonal. De très bonnes reviews sur le sujet sont disponibles ici (11) ou encore ici (12). En clinique, le pegatinib est le premier aptamère à avoir été autorisé sur le marché. Le composé est indiqué dans certaines formes de la DMLA.
Les méthodes de recherche actuelles, basées sur le SELEX (pour Systematic Evolution of Ligands by Exponential Enrichment), ont permis de générer des aptamères dirigés contre des cibles d’intérêt thérapeutique et diagnostic, comme la nucléoline ou encore la thrombine. Même si le potentiel de la technologie est attrayant, il est difficile et laborieux de découvrir de nouvelles paires séquence/cible. Pour booster la recherche de nouveaux candidats, une équipe américaine (13) a pu entrainer un algorithme afin d’optimiser un aptamère et de réduire la taille de sa séquence, tout en conservant voire en augmentant son affinité à sa cible. Ils ont ainsi pu prouver expérimentalement que l’aptamère généré par l’algorithme avait plus d’affinité que le candidat de référence, tout en étant 70% plus court. L’intérêt ici est de conserver la partie expérimentale (la partie SELEX), et de la combiner avec ces outils in silico afin d’accélérer l’optimisation de nouveaux candidats.
Il est certain que le futur des oligonucléotides est prometteur, et leur versatilité est telle qu’on les retrouve dans des domaines totalement différents, allant des nanotechnologies à base d’ADN ou encore dans la technologie CRISP/Cas. Ces deux derniers domaines pourraient, à eux seuls, faire l’objet d’articles individuels tellement leurs horizons de recherche sont importants et intéressants.
Dans notre cas, nous espérons que ce petit article vous aura fait découvrir de nouvelles idées et concepts, et vous a donné envie d’en apprendre davantage sur les oligonucléotides et le Machine Learning.
Bibliographie :
- Bizot F, Vulin A, Goyenvalle A. Current Status of Antisense Oligonucleotide-Based Therapy in Neuromuscular Disorders. Drugs. 2020 Sep;80(14):1397–415.
- Roberts TC, Langer R, Wood MJA. Advances in oligonucleotide drug delivery. Nat Rev Drug Discov. 2020 Oct;19(10):673–94.
- Shen X, Corey DR. Chemistry, mechanism and clinical status of antisense oligonucleotides and duplex RNAs. Nucleic Acids Res. 2018 Feb 28;46(4):1584–600.
- Crooke ST, Liang X-H, Baker BF, Crooke RM. Antisense technology: A review. J Biol Chem [Internet]. 2021 Jan 1 [cited 2021 Jun 28];296. Available from: https://www.jbc.org/article/S0021-9258(21)00189-7/abstract
- Bustin SA, Benes V, Garson JA, Hellemans J, Huggett J, Kubista M, et al. The MIQE Guidelines: Minimum Information for Publication of Quantitative Real-Time PCR Experiments. Clin Chem. 2009 Apr 1;55(4):611–22.
- Lopez-Rincon A, Tonda A, Mendoza-Maldonado L, Mulders DGJC, Molenkamp R, Perez-Romero CA, et al. Classification and specific primer design for accurate detection of SARS-CoV-2 using deep learning. Sci Rep. 2021 Jan 13;11(1):947.
- Wolfe JM, Fadzen CM, Choo Z-N, Holden RL, Yao M, Hanson GJ, et al. Machine Learning To Predict Cell-Penetrating Peptides for Antisense Delivery. ACS Cent Sci. 2018 Apr 25;4(4):512–20.
- Stebbins CC, Petrillo M, Stevenson LF. Immunogenicity for antisense oligonucleotides: a risk-based assessment. Bioanalysis. 2019 Nov 1;11(21):1913–6.
- Hagedorn PH, Yakimov V, Ottosen S, Kammler S, Nielsen NF, Høg AM, et al. Hepatotoxic Potential of Therapeutic Oligonucleotides Can Be Predicted from Their Sequence and Modification Pattern. Nucleic Acid Ther. 2013 Oct 1;23(5):302–10.
- Papargyri N, Pontoppidan M, Andersen MR, Koch T, Hagedorn PH. Chemical Diversity of Locked Nucleic Acid-Modified Antisense Oligonucleotides Allows Optimization of Pharmaceutical Properties. Mol Ther – Nucleic Acids. 2020 Mar 6;19:706–17.
- Zhou J, Rossi J. Aptamers as targeted therapeutics: current potential and challenges. Nat Rev Drug Discov. 2017 Mar;16(3):181–202.
- Recent Progress in Aptamer Discoveries and Modifications for Therapeutic Applications | ACS Applied Materials & Interfaces [Internet]. [cited 2021 Jul 25]. Available from: https://pubs-acs-org.ressources-electroniques.univ-lille.fr/doi/10.1021/acsami.0c05750
- Bashir A, Yang Q, Wang J, Hoyer S, Chou W, McLean C, et al. Machine learning guided aptamer refinement and discovery. Nat Commun. 2021 Apr 22;12(1):2366.
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