Chaque mois, Resolving Pharma s’attache à interviewer les acteurs qui, dès aujourd’hui, font la santé et l’industrie pharmaceutique de demain. Elise Bordet nous fait l’honneur de se prêter au jeu, nous l’en remercions !
«L’accès à la donnée et les capacités d’analyses vont devenir un avantage compétitif de plus en plus important pour les entreprises pharmaceutiques.»
[Resolving Pharma] Pour commencer, pouvez-vous nous présenter votre parcours ? Pourquoi avoir fait le choix de travailler à l’intersection de la Data et de la Pharma ?
[Elise Bordet] Je suis ingénieur agronome, j’ai une thèse en immuno-virologie et ensuite j’ai fait un MBA avant de rejoindre mon entreprise actuelle. Ce qui me passionne ce sont les sujets très techniques, de pointe, l’implémentation de nouvelles approches de recherche. J’avais été très marquée par une conférence sur l’intelligence artificielle et la notion de 4ième révolution industrielle, je ne voulais pas passer à côté de ce sujet.
J’étais très attachée à la recherche fondamentale publique mais j’ai quand même voulu me faire ma propre idée sur l’industrie pharmaceutique et je ne suis pas déçue du tout. Je crois que c’est un très bel endroit pour contribuer à la recherche et au bien commun.
J’aime les sujets en changement perpétuel, où tout change au jour le jour, où il est nécessaire de toujours se remettre en question pour rester à la pointe des dernières nouveautés. Les sujets Pharma, Data et IA, c’est le paradis pour moi !
Pouvez-vous nous présenter ce que sont les Real World Data ainsi que les manières dont les utilise l’industrie pharmaceutique ?
On définit comme Real World Data les données qui ne sont pas collectées dans un essai clinique randomisé. Par conséquent, c’est un sujet immense. Cela peut aller de données provenant de registres à des bases de données plus larges comme les bases médico-administratives.
Ces données permettent notamment à l’industrie pharmaceutique de créer des médicaments mieux adaptés à la réalité d’un système de santé. Elles permettent aussi de créer de nouvelles approches de recherche, de soutenir les approches de « drug repurposing » par exemple.
En quoi les approches basées sur la Real World Evidence diffèrent-elles des approches traditionnelles de l’industrie pharmaceutique ? Quelles sont leurs plus-values ?
Finalement, ces approches existent depuis longtemps, notamment pour les sujets de pharmaco-vigilance (la fameuse Phase IV). En revanche, la quantité de données disponibles, leur qualité et nos capacités de calcul et d’analyses ont été bouleversées. L’ensemble de ces changements nous permet de répondre à de nouvelles questions de recherche. Des questions qui restaient sans réponse parce que l’on n’avait pas la capacité d’aller regarder ce qu’il se passait dans la réalité. Le deuxième sujet, c’est les grands apports de l’intelligence artificielle : scientifiquement, on va pouvoir aller beaucoup plus loin.
A votre avis, comment l’industrie pharmaceutique équilibrera-t-elle à l’avenir l’utilisation de la Real World Evidence avec celle des données cliniques et pré-cliniques générées de manière plus traditionnelle ?
Les données Real World vont jouer un rôle de plus en plus important. Chaque type de données a ses avantages et ses inconvénients. Finalement, il ne s’agit pas d’opposer les données entre elles, bien au contraire, le plus intéressant c’est de pouvoir regrouper toutes ces données et d’en tirer un maximum d’informations.
Quel impact l’utilisation de ce type de données pourrait avoir concernant la chaîne de valeur du médicament et des partenariats que doit mettre en place l’industrie pharmaceutique ?
L’accès à la donnée et les capacités d’analyses vont devenir un avantage compétitif de plus en plus important pour les entreprises pharmaceutiques. La stratégie Data des entreprises est l’un des piliers incontournables. J’imagine qu’à l’avenir on regardera non seulement la valeur du portfolio d’une entreprise mais aussi la valeur et l’impact des analyses qui peuvent être réalisées par celle-ci. La data va tellement jouer sur la probabilité de succès des projets qu’il est difficile d’imaginer ne pas la prendre en compte dans les métriques de valorisation économique.
Vous avez récemment réalisé une présentation de la technologie des jumeaux numériques. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
Le jumeau numérique est un très beau concept qui revient à se dire : à chaque développement, nous créons de nouvelles données sur lesquelles nous devons nous appuyer pour le développement suivant. Ces données doivent nous permettre de modéliser un maximum de niveau d’organisations biologiques : moléculaire, cellulaire, tissulaire puis à l’échelle des organes voire de l’organisme. Cette modélisation nous évitera de répliquer des connaissances déjà créées et permettra notamment d’accélérer le développement pré-clinique et clinique, et pourquoi pas de modéliser de manière très précise les premiers résultats de Phase I.
Comment voyez-vous l’industrie pharmaceutique dans 30 ans ?
Oula ! Tout va être différent ! Premièrement, je pense que comme dans toutes les industries, la technologie aura permis une transformation en profondeur de l’ensemble des prises de décision, c’est ce qu’on appelle « le data-driven decision making». La science aura fait des progrès incroyables, les capacités de calcul et de prédiction auront été démultipliées, il y aura des nouvelles approches d’intelligence artificielle que l’on ne connait pas aujourd’hui. Nous aurons fait d’immenses progrès en matière d’inter-opérabilité des différentes bases de données de santé qui sont aujourd’hui morcelées. C’est un bon exercice d’essayer de se projeter dans 30 ans. On ne se souviendra plus de comment on faisait avant, c’est le principe des révolutions technologiques ; on a déjà oublié comment on vivait sans portable et internet ! On ne se verra plus sans la Data et l’IA au centre de nos décisions et projets. D’un point de vue plus organisationnel, le partage des données aura permis de faciliter les collaborations scientifiques publiques et privées et de mettre en place des projets qui accélèreront la recherche, à l’image du Health Data Hub en France ou de l’European Health Data Space qui va être lancé par l’Union Européenne.
Avez-vous un conseil à donner à quelqu’un qui souhaiterait travailler dans la Data Science en santé ?
Nous, scientifiques, avons appris par le doute et restons hantés par lui. Ce n’est parce que vous avez une expertise dans un autre corps de métier (essais cliniques, recherche au laboratoire, etc) que vous ne pouvez pas en acquérir une autre en Data Science ou en Intelligence Artificielle par exemple. Les profils polyvalents sont et seront les plus recherchés. Mon conseil est donc : pas de panique !
Si vous pouvez, commencez rapidement à s’autoformer, Internet nous met à un clic des meilleurs cours sur la programmation, la Data Science et beaucoup d’autres sujets de pointe, profitez-en !
Prenez de l’avance sur demain !
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