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Blockchain, Applications mobiles : la technologie permettra-t-elle de résoudre le problème des médicaments contrefaits ?

« Fighting counterfeits drugs is only the start of what blockchain could achieve through creating [pharmaceutical] ‘digital trust’.»

Andreas Schindler, Blockchain Expert

20% des médicaments en circulation dans le monde sont des médicaments contrefaits, dont la plupart ne contiennent pas la bonne substance active ou pas en bonne quantité. Représentant 200 milliards de dollars par an, ce trafic – 10 à 20 fois plus rémunérateur pour le crime organisé que celui de l’héroïne – cause chaque année la mort des centaines de milliers de personnes dont une majorité d’enfants que leurs parents pensent soigner avec de véritables médicaments. Pour lutter contre ce fléau, laboratoires et autorités sanitaires internationales doivent présenter un front uni, dont la technologie pourrait être la clef de voute.

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Le problème de la contrefaçon de médicaments

C’est un fléau quasiment invisible, dont il est difficile de définir les contours, une épidémie mondiale à bas bruit, qui ne provoque ni confinements ni campagnes massives de vaccinations mais qui pourtant tue chaque année des centaines de milliers de patients. Les médicaments contrefaits, définis par l’OMS comme étant « des médicaments fabriqués de manière frauduleuse, mal étiquetés, de mauvaise qualité, dissimulant le détail ou l’identité de la source et ne respectant pas les normes définies », concernent généralement des maladies graves comme le sida, la tuberculose ou le paludisme et conduisent notamment au décès d’environ 300 000 enfants de moins de 5 ans atteints de pneumonie et de paludisme. Dans les faits, l’appellation généraliste « médicaments contrefaits » regroupe des produits très différents : certains ne contenant aucun principe actif, d’autres renfermant des principes actifs différents de ce qui est indiqué sur leur étiquetage, d’autres encore contenant le principe actif indiqué en quantité différente. En plus de leur responsabilité dans ces innombrables drames humains du présent, les médicaments contrefaits participent également à ceux de demain en participant notamment à l’augmentation de l’antibiorésistance dans des zones du monde où les systèmes de santé sont déjà défaillants et ne seront probablement pas en mesure de faire face à l’avenir à ce nouveau défi.

Parlons désormais d’argent. En dehors de ces considérations de santé publique, les médicaments contrefaits sont également un problème économicopolitique pour les états : ce trafic représentant 200 milliards de dollars par an permet d’une part d’alimenter d’autres filières du crime organisé et représente d’autre part un coût très important pour les systèmes de santé. Concernant les industries pharmaceutiques, les problématiques causées par ce trafic sont également nombreuses : un manque à gagner représentant 20% de leurs ventes mondiales ; un immense déficit de confiance des patients – ne sachant pas la plupart du temps que les médicaments contrefaits ne sont pas les originaux ; et enfin des dépenses considérables afin de lutter contre les contrefaçons.

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Les initiatives pour contrer les contrefaçons de médicaments

Les médicaments contrefaits sont généralement distribués à travers des réseaux extrêmement complexes, ce qui rend particulièrement difficile la lutte pour endiguer leur propagation. Dans son « Guide pour l’élaboration de mesures visant à éliminer les médicaments contrefaits », l’OMS identifie différentes initiatives juridico-socio-politiques pouvant être mises en place pour les Etats afin de limiter la propagation de ces médicaments contrefaits, ces recommandations certes pertinentes sont particulièrement difficiles à mettre en place dans des régions du globe dans lesquelles les Etats ont peu de moyens et dont les structures sont gangrénées par la corruption endémique. Dans cet article, nous nous intéresserons par conséquent davantage aux solutions mises en place par des entreprises privées : start-ups spécialisées dans la lutte contre les médicaments contrefaits ou grandes entreprises pharmaceutiques.

L’une des pistes suivies par différentes start-up, notamment PharmaSecure, basée en Inde, ou Sproxil, basée au Nigéria et collaborant activement avec le gouvernement de ce pays, est d’utiliser le très large accès au smartphone des populations de ces pays pour leur permettre d’identifier les boîtes de médicaments contrefaites selon le modèle suivant : les fabricants de médicaments collaborent avec ces start-ups afin de mettre en place des codes (sous forme numérique ou de QR codes) dissimulées à l’intérieur des boîtes ou sur l’emballage du médicament, sous une surface à gratter ou décoller. Le patient peut télécharger gratuitement une application et y scanner ces codes pour vérifier que ses médicaments sont authentiques. Ces applications permettent en-sus aux patients de bénéficier de conseils relatifs à leurs traitements. Elles tiennent le rôle, dans leur fonctionnement, d’un tiers de confiance permettant de certifier au patient, consommateur final du médicament, que personne ne s’est substitué frauduleusement au fabricant légitime.

Figure 1 – Modèle de fonctionnement des applications mobiles de vérification de l’authenticité des médicaments

Le système décrit ci-dessus fonctionne globalement de la même manière que la sérialisation dont la mise en place a commencé il y a plusieurs années et est décrite dans le règlement européen 2016/61 ; à l’exception du fait que la vérification est réalisée par le patient et pas par le pharmacien.

D’autres applications mobiles, comme CheckFake et DrugSafe, développent un système de vérification différent, tirant profit de la caméra du smartphone pour vérifier la conformité en matière de formes, de contenus et de couleurs des packaging des médicaments. Enfin, une autre catégorie d’applications, mettent en place un système permettant d’analyser la forme et la couleur des médicaments eux-mêmes de manière à identifier de quels comprimés il s’agit et s’ils sont authentiques.

Ces différentes solutions présentent un certain nombre de qualités, en particularité leur facilité de déploiement et d’utilisation par les patients dans tous les pays du monde. En revanche, elles présentent l’inconvénient d’être lancées dans une course de vitesse avec les contrefacteurs poussés à produire des contrefaçons de plus en plus réalistes et ressemblantes. Par ailleurs, elles sont difficilement applicables pour aller plus loin : sécuriser la totalité des chaînes d’approvisionnement ou encore tracker le circuit des médicaments dans les hôpitaux, c’est la raison pour laquelle de nombreux grands groupes pharmaceutiques, comme Merck ou Novartis par exemple, misent depuis quelques temps déjà sur une technologie différente : la Blockchain. Explications.

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Présentation succincte de la technologie Blockchain –

La Blockchain est une technologie conçue en 2008, sur laquelle se sont construites les crypto monnaies depuis cette date. Il s’agit d’une technologie sécurisée par cryptographie de stockage et de transmission d’informations sans organe de contrôle centralisé. L’objectif principal est de permettre à un protocole informatique d’être un vecteur de confiance entre différents acteurs sans tiers intermédié. Le mécanisme de la Blockchain permet aux différents acteurs qui y participent d’obtenir un accord unanime sur le contenu des données et d’éviter leur falsification ultérieure. Ainsi, la méthode historique de consensus entre les acteurs est celle dite de la « preuve de travail » : un certain nombre d’acteurs fournissent de la puissance de calcul afin de valider l’arrivée de nouvelles informations. Dans le cadre des cryptomonnaies, ces acteurs sont appelés les mineurs : des machines informatiques très puissantes et aux dépenses énergétiques importantes reçoivent toutes en même temps un problème mathématique complexe à résoudre, la première qui réussira sera en mesure de valider la transaction et d’être rémunérée pour cela. Chacun des participants, appelés « nœuds », possède par conséquent un historique mis à jour du grand livre de compte qu’est la Blockchain. Dans les faits, cette attaque est peu envisageable, sur des blockchains comme celles du Bitcoin par exemple, tant la puissance de calcul à développer serait phénoménale (peut-être qu’un jour l’ordinateur quantique rendra-t-il obsolète ce que nous considérons actuellement comme de la cryptographie, mais c’est un autre débat…) D’autres techniques de validation existent désormais, comme la preuve de participation ou encore la preuve de stockage. Elles ont essentiellement été conçues afin de répondre aux problématiques de scalabilité et de durabilité énergétique des blockchains.

Figure 2 – Schéma de l’ajout d’un bloc à une blockchain

Conçue à la suite de la crise financière de 2008, cette technologie a une forte connotation politique, et le Bitcoin a par exemple pour philosophie de permettre un affranchissement des individus envers les systèmes de contrôle bancaire et politique. Ainsi, les blockchains originelles, comme celle du Bitcoin, sont dites « ouvertes » : chacun peut lire et écrire les registres de la chaîne. Avec le temps, et pour davantage de praticité par des entreprises privées, des blockchains semi-fermées (tout le monde peut lire mais seul un organisme centralisateur peut écrire) ou fermées (la lecture et l’écriture sont réservées à un organisme centralisateur) ont été développées. Ces nouvelles formes de blockchains s’éloignent considérablement de la philosophie de départ, et l’on peut légitimement interroger leur pertinence : elles présentent certains inconvénients de la blockchain en termes de difficulté d’utilisation tout en conservant également les problématiques liées à une base de données centralisées : une seule entité peut décider volontairement de la corrompre ou souffrir d’un piratage. Cette configuration fermée permet souvent une plus grande scalabilité mais pose une question autant technologique que philosophique : une blockchain, lorsqu’elle est pleinement centralisée, en est-elle encore une ?

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Perspectives d’utilisation de la technologie Blockchain dans la lutte contre les médicaments contrefaits

A l’heure où la confiance est plus que jamais une problématique centrale de l’industrie pharmaceutique, qui voit sa légitimité et son honnêteté questionnées sans répit, il est logique que les acteurs de ce secteur s’intéressent à la technologie de la confiance par excellence. Parmi les différents cas d’usage possibles, sur lesquels nous pourrons sans doute revenir lors de prochains articles, la lutte contre les médicaments contrefaits est l’un des plus prometteurs et des plus importants en termes de vies humaines potentiellement sauvées. Ainsi, Merck a récemment commencé à collaborer avec Walmart, IBM et KPMG dans le cadre d’un projet pilote porté par la FDA afin d’utiliser la blockchain pour permettre aux patients de tracker la totalité du circuit du médicament qu’ils ont entre les mains. Ce concept est déjà mis à l’étude de manière fonctionnelle à Hong Kong à propos du Gardasil et à l’aide d’applications mobiles téléchargées par les pharmaciens et les patients. Ainsi, toute la chaîne d’approvisionnement du médicament est bâtie autour de la blockchain permettant de récupérer et d’assembler un grand nombre de données concernant par exemple les dates d’expédition ou encore les conditions et températures de conservation. Le consortium précédemment cité explore également l’utilisation de Non-Fungible Tokens (NFT) : des jetons numériques uniques et non interchangeable. A chaque boîte de médicament produite serait associé un NFT, qui suivrait la boîte dans son circuit, du fabricant au grossiste, du grossiste au pharmacien et du pharmacien au patient, par exemple. Ainsi, chaque patient recevrait dans le futur un NFT en même temps que sa boîte de médicaments afin d’en certifier l’inviolabilité de la provenance. Aucun des acteurs de la chaîne d’approvisionnement ne pourrait prendre la liberté d’ajouter frauduleusement des médicaments contrefaits puisque ces derniers ne posséderaient pas leur NFT associé. Cette vision du futur est probablement réjouissante et en faveur d’une sécurité accrue du médicament, mais elle ne sera réalisable qu’après un travail important, d’une part d’éducation des parties prenantes et d’autre part de mise en place d’interfaces digitales accessibles à tous les patients.

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Avec l’émergence du e-commerce et de sa facilité d’accès toujours plus importante, le problème des médicaments contrefaits a explosé ces dernières années et il sera nécessaire que les différents acteurs de l’écosystème pharmaceutique se mobilisent et se montrent créatifs pour l’endiguer, ainsi que pour restaurer la confiance détériorée. Plusieurs initiatives extrêmement intéressantes utilisant la technologie de la blockchain sont actuellement portées par différents acteurs du secteur de la santé, nous pouvons voir dans ces projets l’esquisse d’une potentielle solution à la contrefaçon des médicaments, mais nous devons toutefois les considérer avec un certain esprit critique tant la tentation de faire du marketing autour du buzz-word que représente la blockchain depuis l’explosion des crypto-monnaies en 2017 peut être forte – et même, malheureusement, lorsque les problématiques pourraient parfaitement se satisfaire d’une base de données centralisée. Pouvons-nous aller jusqu’à penser comme certains spécialistes de cette technologie que la blockchain n’est viable et utile que lorsqu’elle est utilisée pour des transferts financiers ? Le débat est ouvert et nul doute que le futur y apportera rapidement une réponse !

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Par Alexandre Demailly

Pharmacien diplômé de l’Université de Lille, en France, Alexandre a poursuivi ses études en médicoéconomie à l’Université de Paris-Dauphine puis a développé sa connaissance de l’Intelligence Artificielle en Santé à l’Université de Paris.
Passionné par l’innovation en santé et l’entrepreneuriat, Alexandre est actuellement impliqué dans deux biotechs early-stage dans le domaine des maladies neurodégénératives.