« Dans dix ans, aucun patient n’acceptera de prendre la même chose qu’un autre million de personnes. Et aucun médecin ne prescrira la même chose à deux patients »
Fred Paretti de la start-up spécialisée dans l’impression 3D de médicaments Multiply Labs.
L’impression 3D – également appelée fabrication additive – est l’une des technologies capables de transformer le développement pharmaceutique et qui, en tout cas, prendra assurément part à la digitalisation du secteur de la fabrication de médicaments. Ce court article tentera de faire le point sur le fonctionnement de l’impression 3D, sur ses différents cas d’usage dans la fabrication de médicaments personnalisés, sur la réglementation encadrant à l’heure actuelle cette technologie novatrice et enfin sur les synergies pouvant exister avec l’intelligence artificielle.
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L’impression 3D, où en est-on ?
Le principe de l’impression 3D, développé depuis le début des années 2000 et désormais utilisé dans un très grand nombre de domaines industriels, consiste à superposer des couches de matières en respectant des coordonnées réparties selon 3 axes (en trois dimensions) en suivant un fichier numérique. Ce fichier 3D est découpé en tranches horizontales et envoyé à l’imprimante 3D lui permettant d’imprimer une tranche après l’autre. La terminologie « impression 3D » réunit des techniques très différentes les unes des autres :
- Le dépôt de fil fondu ou l’extrusion : un fil en plastique est chauffé jusqu’à sa fusion et déposé aux points d’intérêt, par couches successives, qui se lient entre elles par le plastique se solidifiant en refroidissant. Il s’agit de la technique la plus courante, utilisée par les imprimantes grand public.
- La photopolymérisation de la résine : une résine photosensible est solidifiée à l’aide d’un laser ou d’une source de lumière très concentrée, couche par couche. Il s’agit de l’une des techniques permettant un niveau de détail très élevé.
- Le frittage ou la fusion de poudre : un laser est utilisé pour, par l’énergie qu’il dégage, permettre l’agglomération des particules de la poudre. Cette technique est utilisée pour produire des objets en métal ou en céramique
Dans l’industrie pharmaceutique, l’impression 3D est utilisée de plusieurs façons dont les principales sont :
- La réalisation de dispositifs médicaux, en utilisant les techniques classiques d’impression de composés plastiques ou métalliques ou des techniques plus particulières permettant aux dispositifs médicaux d’acquérir des propriétés originales, à l’image des prothèses de la start-up Lattice Medical permettant aux tissus adipeux de se régénérer.
- Le bio-printing, permettant, en imprimant avec des cellules humaines, de reconstituer des organes comme la peau ou encore des patch cardiaques à l’image de ce que réalise une autre start-up française : Poietis
- Enfin, et c’est ce qui sera abordé dans cet article, l’impression 3D a également un rôle à jouer dans la galénique en permettant d’imprimer, à partir d’un mélange composé d’excipient(s) et de substance(s) active(s) un médicament à voie d’administration orale
L’impression 3D de médicaments, pour quels usages ?
L’impression 3D permet d’apporter une caractéristique essentielle à la fabrication des médicaments : la flexibilité. Cette flexibilité est importante pour :
- La fabrication de petits lots cliniques : les phases cliniques I et II requièrent souvent des lots de médicaments expérimentaux de tailles modestes pour lesquels l’impression 3D trouve toute son utilité : il est parfois économiquement risqué de faire à ce stade de grands investissements sur la fabrication des médicaments. Par ailleurs, il est souvent nécessaire de modifier la teneur en principe actif des médicaments utilisés, l’impression 3D permettrait d’adapter ces lots en temps réel. Enfin, l’impression 3D peut également être utile pour proposer aux patients des placebos les plus ressemblant possible à leurs traitements habituels.
- Avancer vers la médecine personnalisée : L’impression 3D des médicaments permet de créer des médicaments « à la carte » en mélangeant plusieurs principes actifs avec des teneurs différentes pour chaque patients. Dans le cas de patients dont les poids et les capacités d’absorption varient avec le temps (enfants ou personnes âgées dénutries par exemple), l’impression 3D pourrait également adapter leurs traitements en temps réel en fonction de l’évolution de leur poids, notamment en termes de dosages et de rapidité de dissolution.
Pour répondre à ces différentes problématiques, la plupart des grands acteurs pharmaceutiques s’intéressent de plus en plus à l’impression 3D des médicaments. Ils investissent massivement dans ce domaine ou concrétisent des partenariats, à l’image de Merck, coopérant avec la société AMCM afin de mettre en place un système d’impression conforme aux bonnes pratiques de fabrication. L’implémentation de cette solution a le potentiel de bouleverser le schéma traditionnel de fabrication comme l’illustre le schéma ci-dessous.
Figure 1 – Modification des étapes de fabrication d’un comprimé par implémentation de l’impression 3D (Source : Merck)
La réglementation
Le premier médicament commercialisé imprimé en 3D a été approuvé par la FDA en 2015. Sa substance active est le lévétiracétam. L’objectif de l’utilisation de l’impression 3D pour ce médicament était d’obtenir un comprimé plus poreux, se dissolvant plus facilement et convenant mieux aux patients souffrant de troubles de la déglutition. En dépit de ces premières approbations et de ces premiers accès au marché, la réglementation reste encore à construire, il est en effet encore nécessaire d’évaluer les changements de bonnes pratiques que cette technologie de l’impression 3D pourrait imposer et déterminer quels types de tests et de contrôles devraient être mis en œuvre. Les contrôles qualité destructifs n’étant pas particulièrement adaptés aux petits lots produits par la technique de l’imprimante 3D. Pour le moment, il n’existe à notre connaissance aucune imprimante 3D agrée GMP pour la fabrication de médicaments.
L’avenir de l’impression 3D des médicaments passera-t-il par l’intelligence artificielle ?
Un nombre d’auteurs de plus en plus importants pensent que l’impression 3D de médicaments ne pourra sortir des laboratoires et devenir une technologie couramment utilisée dans l’industrie qu’à la condition d’intégrer l’intelligence artificielle. En effet, dans l’état actuel des choses, du fait de la grande flexibilité évoquée plus haut, l’utilisation de l’impression 3D requiert une longue phase itérative : il est nécessaire de tester des milliers de facteurs concernant notamment les excipients utilisés mais également les paramètres de l’imprimante ainsi que la technique d’impression à sélectionner. Le choix de ces différents facteurs se fait actuellement par l’équipe de galénique en fonction de ses objectifs et contraintes : quelle est la meilleure combinaison de facteurs pour répondre à un critère donné de pharmacocinétique ? Quels sont ceux qui permettent de minimiser les coûts de production ? Quels sont ceux qui permettent de respecter au mieux un éventuel cadre réglementaire ? Quels sont ceux qui permettent de produire rapidement ? Cette phase itérative est extrêmement consommatrice en temps et en capitaux, ce qui contribue à rendre l’impression 3D de médicaments incompatible pour le moment avec les impératifs du développement pharmaceutique. L’Intelligence Artificielle semble être le moyen le plus simple à déployer pour surmonter ce défi et pour rendre « evidence-based » le choix multi-dimensionnel des paramètres à mettre en œuvre en fonction des objectifs. L’Intelligence artificielle pourra également être impliquée dans le contrôle qualité des lots ainsi fabriqués.
L’utilisation de l’Intelligence Artificielle pour designer de nouveaux médicaments ouvre la perspective de nouveaux défis techniques, notamment en ce qui concerne la disponibilité des données nécessaires à ces modèles de Machine Learning, souvent conservées dans le secret des laboratoires pharmaceutiques. Nous pouvons imaginer que des bases de données pourront tout de même être constituées en pratiquant le text-mining sur les articles scientifiques et des brevets traitant des différentes formes galéniques et des différents types d’excipients puis complétées de manière expérimentale, ce qui demandera une dépense en temps de travail non négligeable. Parallèlement à ces défis techniques, il sera également nécessaire de se poser des questions plus éthiques, notamment en ce qui concerne le bouleversement des responsabilités causé par l’implémentation de ces nouvelles technologies : qui serait responsable en cas de libération d’un lot non conforme ? Le fabricant de l’imprimante 3D ? Le développeur de l’algorithme qui a designé le médicament ? Celui de l’algorithme qui a validé le contrôle qualité ? Ou encore le Pharmacien Responsable du laboratoire ?
Au total, nous pouvons conclure que l’impression 3D des médicaments est une technologie déjà bien maîtrisée, dont le marché est en croissance de 7% chaque année pour atteindre un marché envisagé de 440 millions de dollars en 2025, mais dont l’utilité est jusqu’à présent limitée à certains cas d’usage mais qui pourrait demain, du fait du déblocage de son potentiel par combinaison à l’Intelligence Artificielle nous permettre d’atteindre un développement galénique et une fabrication des formes orales totalement automatisés et optimisés, enfin adaptés à la médecine ultra-personnalisée qui vient.
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Pour aller plus loin :
- Moe Elbadawi, Laura E. McCoubrey, Francesca K.H. Gavins, Jun J. Ong, Alvaro Goyanes, Simon Gaisford, and Abdul W. Basit ; Disrupting 3D Printing of medicines with machine learning ; Trends in Pharmacological Sciences, September 2021, Vol 42, No.9
- Moe Elbadawi, Brais Muñiz Castro, Francesca K H Gavins, Jun Jie Ong, Simon Gaisford, Gilberto Pérez , Abdul W Basit , Pedro Cabalar , Alvaro Goyanes ; M3DISEEN: A novel machine learning approach for predicting the 3D printability of medicines ; Int J Pharm. 2020 Nov 30;590:119837
- Brais Muñiz Castro, Moe Elbadawi, Jun Jie Ong, Thomas Pollard, Zhe Song, Simon Gaisford, Gilberto Pérez, Abdul W Basit, Pedro Cabalar, Alvaro Goyanes ; Machine learning predicts 3D printing performance of over 900 drug delivery systems ; J Control Release. 2021 Sep 10;337:530-545. doi: 10.1016/j.jconrel.2021.07.046
- Les médicaments imprimés en 3D sont-ils l’avenir de la médecine personnalisée ? ; 3D Natives, le média de l’impression 3D ; https://www.3dnatives.com/medicaments-imprimes-en-3d-14052020/#!
- Les médicaments de demain seront-ils imprimés en 3D ? ; Le mag’ Lab santé Sanofi ; https://www.sanofi.fr/fr/labsante/les-medicaments-de-demain-seront-ils-imprimes-en-3D
- Press Releases – Merck and AMCM / EOS Cooperate in 3D Printing of Tablets ; https://www.merckgroup.com/en/news/3d-printing-of-tablets-27-02-2020.html
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