Les essais cliniques font partie des étapes les plus critiques et les plus coûteuses dans le développement du médicament. Ils sont fortement régulés par les différentes agences de santé internationales, et pour cause, la molécule ou la nouvelle procédure médicale testées peuvent potentiellement nuire aux patients. À ce jour, ce sont les essais cliniques randomisés qui ont le plus de valeur aux yeux des autorités de santé. Toutefois, même si les études sont construites afin de générer un maximum de données tout en limitant les biais et en respectant au mieux la sécurité du patient, elles sont limitées en termes de paramètres testés. Par exemple, certaines molécules sont destinées à traiter des pathologies touchant de petits nombres de patients, il est alors très compliqué et couteux pour les promoteurs des études cliniques de recruter suffisamment de patients et la puissance statistique générée est parfois trop faible pour être interprétée avec confiance.
Est-ce qu’un modèle mathématique, informatique, de patient pourrait totalement remplacer, ou du moins suppléer les données générées par l’Humain dans un essai clinique ?
Ce court article va essayer de développer le concept d’essais cliniques in silico au travers de quelques notions et exemples de la littérature scientifique. Nous espérons qu’il pourra vous en apprendre davantage sur ce domaine passionnant.
Les essais cliniques in silico passent par des patients virtuels, c’est-à-dire des modèles mathématiques générés par un algorithme, mimant notre physiologie et capables de reproduire par exemple la pharmacocinétique d’un médicament X 1 ou encore leur toxicité associée 2. Ils possèdent de nombreux avantages, tels que générer plus de confiance dans la molécule testée avant toutes expériences animales et/ou sur l’être humain, ou encore augmenter la puissance statistique d’essais réalisés sur des petites populations ; comme lorsqu’une molécule est testée dans des maladies orphelines. À terme, cette technologie permettra de suivre la règle des 3 Rs vivant à limiter l’utilisation d’animaux de laboratoire : Remplacer, Réduire, Raffiner.
Dans cette optique, Sarrami-Foroushan et al. 1 ont modélisé l’effet thérapeutique d’une pose d’endoprothèse dans le traitement d’anévrismes intracrâniens. La première étape du projet était de vérifier s’il était d’abord possible de répliquer les données des études déjà existantes, et dans un second temps, d’explorer certaines situations qui auraient requis un ensemble de patients plus compliqué à regrouper.
En se basant sur des anatomies de carotides “virtuelles” (mais modélisées depuis de vrais patients), les chercheurs ont pu appliquer un ensemble de modèles afin de reproduire les différents mécanismes physiques (dynamique des fluides pour le sang par exemple) impliqués dans l’évolution de l’anévrisme, et d’observer l’effet de la prothèse sur le vaisseau malade (ici, son occlusion). Le but était également de générer un modèle capable de comparer l’effet de la prothèse chez un patient normotensif et chez un patient hypertensif.
Le score prédit était comparable aux résultats déjà publiés dans la littérature, et a permis d’explorer de nouveaux scénarios où, par exemple, l’anévrisme a une morphologie plus complexe et où certains patients sont plus difficiles à recruter.
Cet exemple illustre bien la force que la technologie de l’in silico représentera dans les décennies à venir. Les différentes autorités de santé, telle que la FDA 2, accordent de plus en plus d’importances à ces prédictions, car elles réduisent le coût et la durée des essais cliniques.
Un autre cas d’étude est celui développé par Gutiérrez-Casares et al. 3 dans le traitement de l’ADHD, par deux petites molécules différentes, le lisdexamfetamine et le methylphenidate.
L’équipe a d’abord dû caractériser la pathologie et les médicaments testés au niveau moléculaire : dans l’ADHD, l’expression de certaines protéines est altérée et les deux molécules agissent différemment. La sensibilité et l’efficacité peuvent donc être différentes chez un patient selon la molécule étudiée. L’activité de ces protéines a ensuite était corrélée en critères d’efficacité clinique.
Ils ont généré une population virtuelle, démographiquement similaire aux populations observées dans la pathologie, décrivant des profils protéiques différentes selon le statut “sain” ou “malade” du patient.
Enfin, l’équipe s’est basée sur cette population virtuelle pour générer leurs profils pharmacocinétiques et simuler la concentration qu’aurait le médicament dans leur organisme.
En se basant sur leurs profils protéiques et en croisant les données d’efficacité générées, les chercheurs ont pu retrouver les protéines clés dans le mécanisme d’action des deux médicaments. Ce ne sont pas seulement des données d’efficacité et de sureté qui peuvent être générées via les essais in silico, mais également des données fondamentales au mode d’action du médicament qui peuvent être inférées.
Il est encore très compliqué, à ce jour, d’adopter une démarche holistique quant à la simulation de la physiologie humaine. L’article de Gutiérrez-Casares et al. le met en exergue, la fiabilité des modèles se limite à ce que l’on connait déjà. La notion de jumeau numérique est applicable à de nombreux domaines 4, mais ne le sera peut-être jamais tout à fait en Santé. Toutefois, grâce à la puissance de calcul informatique sans cesse croissante et à l’évolution des bases de données cliniques, les modèles se rapprocheront de plus en plus de résultats vraisemblables. Alors qu’une phase 3 requiert bien souvent un grand nombre de patients à l’heure actuelle, les essais in silico pourront-ils réduire ce nombre et accélérer l’autorisation des nouveaux médicaments sur le marché ?
Du côté public, des initiatives telles que le VPH Institute 5 et Avicenna Alliance 6 promeuvent l’utilisation du in silico et contiennent de multiples ressources accessibles à tous afin de démocratiser la technologie.
Du côté privé, il existe des entreprises telles que InSilicoTrials 7, Novadiscovery 8 ou encore l’outil InClinico de l’entreprise InSilico 9 qui proposent des plateformes accessibles aux différents acteurs de l’industrie de la Santé, afin de leur procurer des outils “prêts-à-l’emploi” pour initier leurs propres simulations.
Est-il possible d’imaginer un futur où ces outils permettront aux petites et moyennes biotechs d’accéder plus facilement aux essais cliniques de phase 3 sans les moyens financiers d’une grande entreprise pharmaceutique ? L’écosystème des industries de la Santé serait alors plus favorables aux idées innovantes et “risquées”, et non plus seulement aux acteurs historiques, capables d’encaisser le lourd échec d’une phase 3.
Pour aller plus loin :
- Sarrami-Foroushani, A. et al. In-silico trial of intracranial flow diverters replicates and expands insights from conventional clinical trials. Nat. Commun. 12, 3861 (2021).
- AltaThera Pharmaceuticals Announces FDA Approval for New Indications of Sotalol IV: A New and Faster Way to Initiate Sotalol Therapy for Atrial Fibrillation (AFib) Patients.
- Gutiérrez-Casares, J. R. et al. Methods to Develop an in silico Clinical Trial: Computational Head-to-Head Comparison of Lisdexamfetamine and Methylphenidate. Front. Psychiatry 12, 1902 (2021).
- Marr, B. 7 Amazing Examples of Digital Twin Technology In Practice. Forbes
- VPH Institute | Virtual Physiological Human – International non-profit organisation.
- AVICENNA ALLIANCE.
- InSilicoTrials – Modeling and simulation in drug development.
- Novadiscovery
- InClinico | Insilico Medicine.
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