Ou comment la Science du futur est en train de naître sous vos yeux
« [DeSci] transformed my research impact from a low-impact virology article every other year to saving the lives and limbs of actual human beings » Jessica Sacher, co-fondatrice de Phage Directory
Dans un précédent article, l’un des tous premiers publiés sur Resolving Pharma, nous nous étions intéressés aux problématiques posées par le rôle centralisateur des éditeurs scientifiques, qui en plus de poser des questions financières et éthiques, est un frein à l’innovation et à la recherche scientifique. A l’époque, nous avions, en plus de dresser ce constat, proposé des pistes de réflexions pour changer de modèle, en utilisant notamment les NFTs et la Blockchain. Depuis plusieurs mois, et grâce à la popularisation du Web3 et des DAOs, émergent des quatre coins du monde des initiatives en faveur d’une science permettant de faciliter l’intelligence collective, de redessiner les méthodes de financement et de publication de la recherche et, in fine, de réduire considérablement le chemin entre le laboratoire et les patients. Il est temps d’explorer cette révolution dont nous sommes encore à l’année zéro et que l’on appelle la DeSci pour Science Décentralisée.
De la nécessaire émergence de la DeSci
Une histoire est souvent prise en exemple dans le monde de la DeSci, tant elle illustre toutes les inefficiences de la science actuelle : celle de Katalin Kariko, biochimiste hongroise ayant mené de nombreuses recherches à partir des années 1990 (sur l’ARN messager vitro-transcrit) qui seront à l’origine, quelques décennies plus tard de plusieurs vaccins contre le Covid-19. En dépit des aspects novateurs des recherches menées par Katalin Kariko, elle ne put bénéficier des bourses de recherche nécessaires à leur poursuite pour des raisons de rivalités politiques : l’Université de Pennsylvanie dans laquelle elle se trouvait avait fait le choix de privilégier les recherches portant sur des thérapies ciblant directement l’ADN. Le manque de moyens entraina le manque de publications et K. Kariko fut rétrogradée dans la hiérarchie de son unité de recherche. Cet exemple démontre les conséquences délétères que peut avoir une organisation centralisée de l’attribution des financements (principalement les institutions publiques et les fondations privées) et de la gestion de la réputation des scientifiques (les éditeurs scientifiques).
Combien de chercheurs passent davantage de temps à chercher des financements qu’à travailler sur des sujets de recherche ? Combien de dossiers différents dans la forme doivent-ils remplir pour accéder à ces financements ? Combien de recherches prometteuses mais trop risquées ou trop peu conventionnelles sont abandonnées faute de financement ? Combien d’Universités paient des fortunes aux éditeurs scientifiques pour accéder aux connaissances scientifiques qu’elles ont-elles-même contribuées à établir ? Combien de résultats, parfois pervertis par les logiques de publication des éditeurs scientifiques, s’avèrent in fine non-reproductibles ? Avec toutes les barrières à l’échange de données relatives à la publication scientifique, la Science est-elle encore l’entreprise d’Intelligence Collective qu’elle doit être ? Combien de progrès scientifiques pourtant industrialisables et brevetés n’iront finalement pas jusqu’au marché faute de structures entrepreneuriales suffisamment solides et financées pour les porter (bien que des progrès considérables ont été réalisés ces dernières décennies pour permettre aux chercheurs de créer leurs start-up) ?
La DeSci, que nous pourrions tenter de définir comme étant un système d’organisation de la Science permettant, en s’appuyant sur les technologies et les outils Web3, à chacun de financer et de prendre part à la recherche et à la valorisation scientifique en échange de retour sur investissement ou de rémunération, se propose de répondre à toutes les problématiques mentionnées ci-dessus.
Dans un premier temps, cet article s’intéressera aux bases techniques de la Science Décentralisée puis explorera quelques cas d’usage dans lesquels la décentralisation pourrait améliorer l’efficience de la Science.
Tout comprendre au Web3, aux DAOs et à la Science Décentralisée
A l’origine du Web, de très profondes barrières à l’entrée existaient pour les utilisateurs souhaitant émettre des informations : en effet, avant les blogs, les forums et les réseaux sociaux, il fallait être en mesure de rédiger soi-même le code de son site Internet ou de payer quelqu’un pour le faire afin de pouvoir partager du contenu.
Avec l’arrivée, nous l’évoquions, des blogs et des réseaux sociaux, le Web2 a pris un visage différent : l’expression est devenue considérablement plus facile. En revanche, elle s’est accompagnée d’une grande centralisation : les plateformes de réseaux sociaux disposent des contenus que leurs utilisateurs publient et les exploitent commercialement (au travers de revenus publicitaires notamment) sans reverser un centime aux utilisateurs de leurs services.
Le Web3 est une nouvelle version d’Internet dans laquelle la notion de propriété a été introduite au moyen de la Blockchain. En effet, alors que le Web2 était construit sur des infrastructures centralisées, le Web3 utilise la Blockchain. En clair, les échanges de données sont enregistrés sur une Blockchain et peuvent donner lieu à une rétribution en cryptomonnaies ayant une valeur financière mais donnant également, dans certains cas, un pouvoir décisionnel sur les plateformes utilisées par les contributeurs. Le Web 3 est donc un moyen de marquer la propriété d’un contenu ou de rémunérer facilement l’action d’un utilisateur. Le Web3 est sans nul doute la version d’Internet la plus favorable à la création.
Enfin, nous ne pouvons pas évoquer le Web3 sans parler des Decentralized Autonomous Organization (DAOs). Ces organisations sont décrites par Vitalik Buterin, le co-fondateur emblématique de la Blockchain Ethereum, comme étant : « des entités vivant sur Internet et ayant une existence autonome, tout en s’appuyant sur des individus qu’elle embauche pour effectuer les tâches qu’elle ne peut pas faire directement ». De manière plus terre à terre, il s’agit d’assemblées virtuelles dont les règles de gouvernance sont automatisées et inscrites de façon transparente dans une blockchain, permettant ainsi à ses membres d’agir collectivement, sans autorité centrale ni tiers de confiance, et de prendre des décisions selon des règles définies et inscrites dans des Smart-contracts. Leur objectif est de simplifier et de rendre plus sûre, transparente et infalsifiable la prise de décision et l’action collectives. Les DAOs n’ont pas encore révélé leur plein potentiel mais elles ont déjà montré qu’elles pouvaient œuvrer comme des fonds d’investissement, des entreprises ou des associations caritatives décentralisés et efficients. Depuis quelques mois, des DAOs spécialisées dans la Science émergent, basées sur deux innovations technologiques majeures.
Les concepts technologiques sur lesquels s’appuie particulièrement la DeSci :
Pour comprendre le fonctionnement profond de la DeSci et plus particulièrement son immense et révolutionnaire potentiel, il est important de maîtriser deux concepts en particulier, plutôt peu communs dans le très vaste et grandissant domaine du Web3 mais qui se trouvent au cœur d’un certain nombre de projets de DeSci :
- Les IP-NFTs : Le concept d’IP-NFT a été développé par les équipes de l’entreprise Molecule (dont vous trouverez une interview sur Resolving Pharma). Il constitue une rencontre entre l’IP (la propriété intellectuelle) et les NFTs (les non-fungible tokens) : il permet de tokeniser la recherche scientifique. Cela signifie qu’une représentation d’un projet de recherche est placée sur la Blockchain sous la forme d’un NFT échangeable. Un accord légal est passé automatiquement entre les investisseurs (acheteurs du NFT) et le scientifique ou l’institution qui mène les recherche. Les propriétaires du NFT seront en droit d’obtenir des rémunérations en cas de licensing de la propriété intellectuelle issue des recherches ou de création de start-up à partir de cette propriété intellectuelle.
Figure 1 – Schéma de fonctionnement de l’IP-NFT développé par Molecule (Source : https://medium.com/molecule-blog/molecules-biopharma-ipnfts-a-technical-description-4dcfc6bf77f8)
- Les Data-NFTs : Beaucoup de projets Blockchain s’intéressent à la patrimonalité de la Data mais l’un des plus aboutis est Ocean Protocol. Un Data-NFT représente un droit d’auteur (ou une licence exclusive) enregistré dans la Blockchain et portant sur un jeu de données. Ainsi, il est possible pour un utilisateur d’exploiter ses données de plusieurs manières : en faisant payer des licences temporaires à d’autres utilisateurs, en vendant ses datasets ou en les collectivisant avec d’autres jeux de données dans le cadre d’un « Data Union ».
Ces deux concepts permettent de rendre sécable et liquide la propriété intellectuelle et ainsi de créer de nouveaux modèles de financement et de collaboration. Prenons un exemple simple : un chercheur peut présenter ses recherches et lever des fonds auprès d’investisseurs avant même qu’un brevet ne soit déposé. En échange, les investisseurs possèdent un IP-NFT qui leur permet de bénéficier d’un certain pourcentage de la propriété intellectuelle et des revenus qui seront potentiellement générés par l’innovation.
Passons désormais à quelques cas d’usage de la DeSci.
Transformer le reviewing scientifique
Lorsqu’un chercheur veut communiquer au reste de la communauté scientifique, il rédige un article qu’il soumet à des éditeurs scientifiques, si ces derniers acceptent le thème de la recherche, ils vont chercher d’autres chercheurs à même de vérifier la validité scientifique de l’article, un processus d’échange avec les auteurs s’ensuit alors : il s’agit du peer-reviewing. Les chercheurs prenant part à ce processus ne sont pas rémunérés par les éditeurs et sont principalement motivés par leur curiosité scientifique.
Ce système, tel qu’il est organisé actuellement – de manière centralisée, fait émerger plusieurs problématiques :
- Il prend beaucoup de temps : cela prend, dans certaines revues, plusieurs mois entre la première soumission d’un article et sa publication définitive. Ce délai évitable peut être très dommageable à la progression de la science (mais nous y reviendrons plus tard dans cet article !). Par ailleurs, devant l’inflation du nombre d’articles et de revues scientifiques, le système basé sur le bénévolat des reviewers n’est pas dimensionné pour faire face à l’avenir.
- L’article est soumis aux biais d’appréciation de l’éditeur ainsi qu’à ceux des reviewers, le tout dans un processus opaque, ce qui le rend extrêmement aléatoire. Des études ont montré qu’en soumettant à nouveau un échantillon de papiers déjà publiés et en modifiant les noms et les institutions des auteurs, 89% d’entre eux étaient rejetés (sans que les reviewers ne s’aperçoivent du fait que ces articles étaient déjà publiés)
- L’intégralité du processus est généralement opaque et indisponible au lecteur final de l’article.
Le peer-reviewing de la Science Décentralisée sera entièrement différent. Plusieurs publications ont démontré la possibilité d’utiliser des DAOs scientifiques thématiques afin de rendre tout le processus plus efficient, équitable et transparent. Nous pouvons ainsi imaginer que la décentralisation pourrait jouer sur différents aspects :
- Le choix des reviewers ne dépendrait plus uniquement de l’éditeur mais pourrait être approuvé collectivement.
- Les échanges autour de l’article pourraient être enregistrés sur la Blockchain et seraient ainsi librement accessibles.
- Plusieurs systèmes de rémunération, financière ou pas, peuvent être imaginés afin d’attirer des reviewers de qualité. Nous pouvons ainsi imaginer que chaque reviewing pourrait faire gagner des tokens permettant de s’inscrire dans un système de réputation (voir ci-dessous), de participer aux prises de décision du DAO mais aussi de participer à des concours dans l’objectif d’obtenir des subventions.
Les systèmes de peer-reviewing décentralisé n’en sont encore qu’à leurs premiers pas et, aussi radicalement prometteurs soient-ils, de nombreux défis restent à surmonter, à commencer par celui de l’interopérabilité entre différents DAOs.
Créer un nouveau système de réputation
La principale proposition de valeur apportée par le système centralisé de la Science est celui du système de réputation des acteurs. Pourquoi souhaitez-vous accéder à des écoles et des Universités prestigieuses, et pourquoi êtes-vous parfois prêts à vous endetter sur de nombreuses années pour cela ? Parce que le fait d’avoir le nom d’une Université donnée sur votre CV vous permettra d’accéder plus facilement aux opportunités professionnelles que vous visez. D’une certaine manière, les entreprises ont délégué une certaine partie de leur recrutement aux écoles et aux universités. Autre système de réputation, nous l’évoquions plus tôt dans cet article : celui des éditeurs scientifiques, la qualité d’un chercheur n’est-elle pas mesurée au nombre d’articles qu’il a réussi à faire publier dans des revues prestigieuses ?
En dépit de leur coût prohibitif (qui permet aux éditeurs scientifiques de constituer l’une des industries ayant la marge brute la plus haute du monde – difficile de faire autrement lorsque l’on vend quelque chose que l’on obtient gratuitement !), ces systèmes souffrent de graves imperfections : le fait d’être accepté dans une Université et d’obtenir son diplôme reflète-t-il finement l’implication que l’on a eu durant ses études et les compétences que l’on a pu acquérir par diverses expériences à l’intersection du monde universitaire et du monde professionnel ? La réputation d’un scientifique est-elle réellement proportionnelle à son implication dans son écosystème ? Jorge Hirsch, l’inventeur de l’Indice H, ayant pour but de quantifier la productivité et l’impact scientifique d’un chercheur en fonction du niveau de citation de ses publications est d’ailleurs lui-même revenu sur la pertinence de cet indicateur. Les peer-reviewings, la qualité des cours donnés, l’accompagnement de jeunes chercheurs ou encore l’impact réel de la Science sur la société ne sont en effet pas pris en compte par le système actuel.
Dans le cadre de la DeSci, il sera possible d’imaginer un système basé sur la Blockchain permettant de tracer et d’authentifier les actions d’un chercheur – et pas uniquement le fait de publier des articles – afin de le récompenser à travers des tokens de réputation non échangeables. Le grand défi de ce système de réputation sera encore une fois d’être transversal, interopérable et adopté par différentes DAOs. Nous pouvons imaginer que ces tokens pourront être utilisés pour participer à des votes (dans l’organisation de conférences, dans le choix d’articles, etc) et qu’ils seront eux-mêmes attribués selon des mécanismes de vote (par exemple, les étudiants ayant suivi un cours seront à même de décider collectivement du nombre de tokens à attribuer au professeur).
Transformer les codes de la publication scientifique pour faire émerger l’intelligence collective
La science est une œuvre collective et internationale dans laquelle, actuellement et en tant que chercheur, vous ne pouvez communiquer avec les autres équipes de recherche du monde entier qu’à travers :
- Des publications dans lesquelles vous ne pouvez pas donner accès à l’ensemble des données générées par vos recherches et expérimentations (on estime qu’environ 80% des données ne sont pas publiées, ce qui participe à la crise de la reproductibilité scientifique
- Des publications auxquelles les autres chercheurs ne peuvent pas accéder sans payer les éditeurs scientifiques (dans le cas de l’Open Science, c’est l’équipe de recherche à l’origine de la publication qui paie l’éditeur pour que les lecteurs puissent accéder gratuitement à l’article)
- Des publications qui, par leur forme et les problématiques liées à leur accès, rendent très difficile l’utilisation d’algorithmes de Machine Learning qui pourraient accélérer la recherche
- Et enfin, des publications scientifiques qui, du fait des durées des mécanismes éditoriaux d’approbation ne reflètent l’état de votre recherche qu’avec plusieurs mois de retard. Des crises sanitaires récentes comme celles du COVID-19 nous ont montré à quel point il pouvait être important de disposer de données qualitatives de manière rapide.
Internet a permis une transformation majeure des manières dont nous communiquons. Le mail et les messageries instantanées permettent, par rapport à la lettre qui mettait des semaines à arriver à son destinataire dans les siècles passés, de communiquer plus souvent et surtout d’envoyer des messages plus courts, à mesure que nous obtenons les informations qu’ils contiennent, sans nécessairement les agréger dans une forme complexe. Seule la communication scientifique, alors même qu’elle se fait désormais majoritairement par le biais d’Internet, résiste à cette tendance, au profit des éditeurs scientifiques et des formes traditionnelles de communication mais aussi et surtout aux dépends du progrès de la science et des patients dans le cas de la recherche biomédicale.
Comment, dans ces conditions, faire émerger l’intelligence collective nécessaire au progrès scientifique ? L’entreprise flashpub.io pense avoir la solution : les micro-publications, constituées d’un titre pensé pour être facilement exploitable par un algorithme de NLP, d’une figure unique, d’une brève description et de liens donnant accès à la totalité des protocoles et des données générées.
Figure 2 – Structure d’une micro-publication (Source : https://medium.com/@flashpub_io)
Cette idée des micro-publications, si elle n’est pas directement liée à la Blockchain, sera, puisqu’elle permet le partage rapide et facilité de l’information, un remarquable outil d’intelligence collective et assurément, la modalité de communication scientifique la plus adaptée à l’ère à venir de la Science Décentralisée. L’objectif ne sera pas de remplacer les publications classiques mais plutôt d’imaginer une nouvelle manière de faire de la science, dans laquelle le narratif d’une innovation sera construit collectivement tout au long des expérimentations successives plutôt qu’après plusieurs années de travail par une seule équipe de recherche. Des voix contradictoires s’exprimeront et un consensus sera trouvé, ne modifiant pas fondamentalement le modèle classique de la Science mais le rendant plus efficient.
Faciliter le financement de l’innovation et la création de start-up de biotechnologie
Aujourd’hui, le financement de l’innovation, en santé notamment, fait face à un double problème :
- Du côté des scientifiques et des entrepreneurs : en dépit du développement de nombreux écosystèmes de financement, de subventions non dilutives et de la maturation des fonds de venture capital, la question de la recherche de fonds reste essentielle et problématique pour la plupart des projets. Beaucoup de projets ne survivent pas à ce que l’on appelle la « Vallée de la mort », cette période avant de début des études cliniques durant laquelle lever des fonds est particulièrement compliqué.
- Du côté des investisseurs : Il est très difficile pour un individu de prendre part au financement de la recherche et aux entreprises de Biotechs de manière satisfaisante.
- Il peut être Business Angel et entrer tôt au capital d’une start-up prometteuse : cela n’est pas accessible à tous, car il faut un certain capital de départ pour entrer dans une start-up (et encore plus si l’on souhaite diversifier ses investissements pour lisser son risque)
- Il est possible d’investir en bourse sur des sociétés de biotech cotées : l’espérance de gain est alors bien plus faible, les entreprises étant déjà matures et leurs résultats consolidés.
- Il est possible de financer la recherche à travers des organismes de charités, mais dans ce cas, aucun retour sur investissement n’est possible et aucun contrôle sur les projets financés ne pourra être exercés.
- Il est possible d’investir à travers des sites de crownfunding, mais là encore des problèmes structurels sont à mentionner : le choix des entreprises est limité et les investisseurs sont généralement davantage en position de prêteurs que d’investisseurs : ils ne détiennent pas réellement de parts de l’entreprise et seront rémunérés selon un taux annuel défini à l’avance.
L’un des mantras de l’industrie pharmaceutique les plus à la mode en ce moment est de mettre le patient au centre de ses thérapeutiques, ne faudrait-il pas, par cohérence, également lui permettre d’être au centre des systèmes de financement et de développement de ces thérapeutiques ?
La DeSci permettra à chacun – patient, proche de patient ou simplement (crypto)investisseur souhaitant avoir un impact positif sur le monde – via des systèmes d’IP-NFT, de data-NFT ou de tokenisation d’entreprise de financer facilement des projets de drug development quel que soit leur stade, de la recherche académique d’un chercheur à une entreprise déjà constituée.
Ce système de tokenisation des assets permet par ailleurs de générer des revenus complémentaires, à la fois pour l’investisseur et pour le projet cherchant à être financé :
- Les mécanismes de « prêt lombard » présents dans la Finance Décentralisée permettront également aux investisseurs de générer d’autres types de revenus sur leurs parts des projets. En effet, la DeFi a remis au goût du jour les prêts collatéralisés : un emprunteur peut déposer des actifs numériques (des cryptomonnaies, mais également des NFTs ou des actifs réels tokenisés (entreprises, immobiliers, etc) en échange d’un autre actif (qui représente une fraction de la valeur qu’il a déposée, afin de protéger le prêteur) qu’il pourra investir selon différents mécanismes propres à la Finance Décentralisée et que nous ne développerons pas dans cet article. Ainsi, dans un système classique de private equity, l’argent investi dans une start-up est bloqué jusqu’à la possibilité d’un exit et ne génère pas de rendements autres que ceux attendus du fait de l’augmentation de la valorisation de l’entreprise. Dans le nouveau système décentralisé, une partie de l’argent que vous avez investi peut être placé en parallèle dans l’équivalent crypto d’un compte épargne (simplifions les choses, ce site n’étant pas dédié à la Finance Décentralisée !)
- Par ailleurs, une autre possibilité pour les projets biotech, qu’ils soient déjà constitués sous forme d’entreprise ou pas, de générer des revenus supplémentaires est de tirer profit de la liquidité des actifs (qui n’existe pas dans le système de financement traditionnel) : il est tout à fait envisageable d’appliquer une taxation de quelque % à chaque transaction d’un IP-NFT ou d’un data-NFT.
Nous sommes dans un monde où il est parfois plus facile de vendre une image de singe pour 3 ou 4 millions de dollars que de lever cette somme pour combattre une pathologie mortelle. Il est temps de le comprendre et d’actionner les bons leviers pour aller chercher l’argent là où il se trouve – parfois très loin des sentiers battus.
Conclusion : une communauté naissante, beaucoup de travail et de grandes ambitions
En dépit d’initiatives à très haut potentiel de l’implication de plus en plus importante d’une communauté scientifique à travers le monde, la DeSci est encore jeune et reste à structurer, de nombreux défis seront à relever pour construire le futur. L’un des principaux, en dehors des aspects relatifs au cadre réglementaire, sera sans nul doute celui de l’éducation au sens large et il n’est pas encore adressé par les projets actuels. En utilisant les outils Web3 pour réinventer la manière dont peut se construire et se financer un cursus de haut niveau (vous serez demain payés pour suivre des formations en ligne – oui oui !), la DeSci se donnera les moyens d’intégrer les esprits les plus créatifs et entrepreneuriaux de son époque, à la manière dont les grands incubateurs ou fonds d’investissement comme Y Combinator ou Tech Stars ont misé sur l’éducation pour créer ou accélérer le développement des entreprises les plus impressionnantes de ces dernières années. Les Universités collaboratives de la DeSci doivent émerger, et la connexion entre l’Ed3 (l’éducation et l’apprentissage à l’ère du Web3) et la DeSci reste encore à mettre en œuvre.
Figure 3 – Présentation de l’écosystème DeSci embryonnaire à la conférence ETH Denver, le 17 février 2022 (depuis 3 mois, l’écosystème en pleine ébullition s’est considérablement enrichi d’autres projets)
Le Web 3.0 et les DAOs ont la grande particularité de permettre de récompenser en equity, ou équivalent, des personnes prenant part à un projet en mettant leurs compétences ou leurs moyens financiers à profit, et ce quelle que soit l’étape de développement d’un projet. Ainsi, dans un monde décentralisé où les compétences et le matériel de recherche sont à portée de main, et où les intérêts des individus impliqués dans un projet sont plus alignés, le temps écoulé entre l’émergence d’une idée et son exécution est sensiblement plus faible que dans un monde centralisé. Ce modèle, pouvant réinventer le travail mais aussi ce qu’est une entreprise, s’applique à tous les domaines mais est particulièrement pertinent là où l’intelligence collective est importante et où des expertises de pointe de différents types sont nécessaires, comme la recherche scientifique.
De la même manière que nous pouvons raisonnablement penser que Bitcoin prendra de plus en plus de place dans le système monétaire international dans les années et décennies à venir, nous pouvons penser que la DeSci, étant donné ses caractéristiques et qualités intrinsèques, prendra de plus en plus de place face à ce que nous appellerons peut-être dans les prochaines années la « TradSci » (la Science organisée de manière traditionnelle). En permettant un alignement d’intérêt parfait de ses différents acteurs, la DeSci constituera probablement l’outil collaboratif d’Intelligence Collective le plus abouti et viable à grande échelle et sur le long terme dont n’aura jamais disposé Homo Sapiens. Lutte contre le réchauffement climatique, conquête spatiale, éradication de toutes les maladies, ou extension de la longévité humaine, la DeSci sera probablement le catalyseur des prochaines décennies d’innovations scientifiques et, en cela, impactera positivement votre vie. Ne passez pas à côté de l’opportunité d’en être l’un des premiers artisans !
Pour aller plus loin :
Le premier article de Resolving Pharma sur les problèmes causés par la centralisation de la Science :
L’interview de l’équipe de Molecule, publiée par Resolving Pharma :
Généralités sur la DeSci :
- Le DeSci Wiki, réunissant de nombreuses ressources sur le sujet, et dans lequel vous pourrez retrouver le landscape ayant servi à l’illustration de cet article ainsi que les projets DeSci à explorer (et dans lesquels vous investir !) https ://docs.google.com/document/d/1aQC6zn-eXflSmpts0XGE7CawbUEHwnL6o-OFXO52PTc/edit#
- Ducrée J, Etzrodt M, Bartling S, Walshe R, Harrington T, Wittek N, Posth S, Wittek K, Ionita A, Prinz W, Kogias D, Paixão T, Peterfi I and Lawton J (2021) Unchaining Collective Intelligence for Science, Research, and Technology Development by Blockchain-Boosted Community Participation. Blockchain 4:631648. doi: 10.3389/fbloc.2021.631648
- Let’s focus the power of Web3 on science & biotech’s problems: https://jessbio.substack.com/p/lets-focus-the-power-of-web3-on-science
- Why Science 3 matters, New paradigms for pursuing, accumulating, auditing, and sharing knowledge, by Jan Zheng / https://postfuture.substack.com/p/why-science3-matters
- A Guide to DeSci, the Latest Web3 Movement by Sarah Hamburg : https://future.a16z.com/what-is-decentralized-science-aka-desci/
- Hamburg S. Call to join the decentralized science movement. 2021 Dec;600(7888):221. doi: 10.1038/d41586-021-03642-9. PMID: 34876661.
- Atoms Whitepaper : https://atoms.org/scientiae
- DAOs as novelty search engines : https://mirror.xyz/olly.eth/SptJwnUcMMKtvjoD7J-xYCWZZNTBkaksahJ1CH3aWr4?fbclid=IwAR3Bp7a–wgt8vtn5Wyna3KbPfTGI0mchqqP0QeuOD3ekTmMWrgZgY2lq-M
Comprendre les DAOs :
- https://www.ethereum-france.com/quest-ce-quune-dao/
- https ://underscore.vc/blog/the-future-is-dao-a-primer-on-daos-and-their-explosive-growth/
- https ://www.inc.com/darren-heitner/never-heard-of-a-dao-heres-why-its-going-to-become-hottest-new-type-of-corporation.html
- https://future.a16z.com/the-future-of-work-daos-crypto-networks/
- https ://www.thetilt.com/revenue/dao-business-model
- https://fortune.com/2021/11/19/dao-decentralized-autonomous-organization-consitutiondao/
- https ://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fbloc.2020.00025/full
Comprendre le Web3 :
- Une interview éclairante de Gavin Wood, l’un des co-fondateurs d’Ethereum qui a forgé le terme “Web3” en 2014 : https ://www.wired.com/story/web3-gavin-wood-interview/
- Un excellent podcast pour tout comprendre au Web3, avec l’un des chefs d’entreprise français surfant cette vague : https ://www.gdiy.fr/podcast/frederic-montagnon/
- Oussama Ammar explique sa vision du Web3 dans un autre podcast : https ://www.spreaker.com/user/11710728/silicon-carne-web3-le-grand-remplacement
Sur le concept d’IP-NFT :
- Molecule’s Biopharma IPNFTs — A Technical Description : https://medium.com/molecule-blog/molecules-biopharma-ipnfts-a-technical-description-4dcfc6bf77f8
Sur le concept de Data-NFT :
- What Is a Data NFT? Data NFTs have arrived — what role do they have in Ocean V4? https://blog.oceanprotocol.com/what-is-a-data-nft-5804a2d88671#:~:text=A%20data%20NFT%20represents%20the,this%20the%20%E2%80%9Cbase%20IP%E2%80%9D.
Sur le peer-reviewing :
- Bianca Trovo and Nazzareno Massari ; Ants-Review: A privacy-oriented Protocol for Incentivized Open Peer Reviews on Ethereum ; Springer Nature Switzerland AG 2021 B. Balis et al. (Eds.): Euro-Par 2020 Workshops, LNCS 12480, pp. 18–29, 2021. https://doi.org/10.1007/978-3-030-71593-9_2
- Decentralizing Journals and Peer Review DAOs, the evolution of legitimacy in scientific publishing: https://www.outofpocket.health/p/decentralizing-journals-and-peer-review-daos
- Ambar Tenorio-Fornès et al. Decentralizing science: Towards an interoperable open peer review ecosystem using blockchain; Information Processing and Management 58 (2021) 102724; https://doi.org/10.1016/j.ipm.2021.102724
Sur le concept de micro-publications :
- Smaller, Faster, Smarter publications, a new way to publish scientific discovery, from flashPub : https://medium.com/@flashpub_io/smaller-faster-smarter-publications-b862d9434ed9
Sur la construction et le financement décentralisés des Biotechs :
- Introducing BioDAO: a Web 3.0 solution for biotech funding , Entering the era of biotech and Web3.0 : https://medium.com/@biodao/introducing-biodao-a-web-3-0-solution-for-biotech-funding-3f9fb83aa885
- A guide to Decentralized Biotech, by Jocelynn Pearl: https://future.a16z.com/a-guide-to-decentralized-biotech/
- The Emergence of Biotech DAOs, by Tyler Golato : https://medium.com/molecule-blog/the-emergence-of-biotech-daos-407e31748cd4
Sur l’ED3, ou l’utilisation des DAOs comme outil d’éducation :
- DAOs as University Replacements: A Thought Experiment: https://kassen.substack.com/p/daos-as-university-replacements-a?s=r
- Web3 x education #1 – aligning learning and work : https://mirror.xyz/olly.eth/ieqSiPnJkDoJMAPmbyLQolKcU-q17m_ucbjdUZ-UNGY
- From Web3 to Ed3 – Reimagining Education in a Decentralized World : https://ed3.mirror.xyz/0U3QG8-4K6CD_ltU6SJyKN3-uBD3x6nEFs-YeShzYmk
Crédits de l’illustration de l’article :
- Background : @UltraRareBio @jocelynnpearl and danielyse_, Designed by @katie_koczera
- Montage : Resolving Pharma
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